Publié le 28 février
Retour sur la manifestation pour exiger la vérité sur la mort suspecte de Farid Lamouchi et contre les violences policières à Givors, ce samedi 26 Février. Probablement furieux de ne pouvoir intervenir sur les manifestants, les flics de Givors se sont rabattus sur un mariage, où des participants ont été gazés, insultés et ont pris des coups de matraque et de taser, ainsi qu’une convocation en justice !
« Ils viennent nous provoquer même une fois qu’ils ont fini leur service »
Une soixantaine de personnes sont présentes place Charles de Gaulle pour prendre le départ de la manifestation dans le quartier des Vernes, là-même où habitait Farid, et beaucoup sont des proches. Dans la cité, les gens s’arrêtent pour nous dire que c’est ce qu’il faut faire, il ne faut pas fermer sa gueule devant les coups de pression des flics et leur brutalité.
Ici, tout le monde se connaît. À travers la mort de Farid, les habitants envisagent ce tragique accident pour tout à chacun, dans les confrontations avec la police, en service ou non… « Ils viennent nous provoquer même une fois qu’ils ont fini leur service. Y en a un là, il vient taper des freins à main juste en bas des immeubles les soirs… »
Apparemment Givors, pour la police c’est une espèce de zone de non droit depuis bien longtemps, où les flics se permettent beaucoup plus d’exactions qu’ailleurs.
Départ de la manifestation avec un maximum de bruit ! C’est chouette. On n’est pas beaucoup, mais la manif se fait remarquer. « Police assassin » « Justice nulle part », quelques doigts d’honneur quand les flics (peu nombreux) se rapprochent un peu trop, les gens sont motivés. Tout se passe bien dans le centre de Givors jusqu’au lâché de ballons devant la mairie, on applaudit en mémoire de Farid. Le Maire vient serrer des paluches, la famille Lamouchi le reçoit cordialement. Enfin les gens se séparent et rentrent au quartier.
Réunion stratégique dans un appartement pour savoir ce que l’on va faire pour poursuivre la lutte et exiger la justice. Les gens présents débattent… Soudain quelqu’un nous annonce qu’une vingtaine de minutes après notre passage place de la Mairie, les flics viennent de gazer un mariage ! Alors on décide de sortir.
« Ils n’acceptent pas qu’on puisse bien vivre ! »
Des personnes présentes au mariage sont retrouvées et elles se confient rapidement à nous. Elles nous expliquent brièvement la situation et on peine à les croire. « Ils n’acceptent pas qu’on puisse bien vivre, c’est parce qu’on est des Arabes qu’ils nous font chier ! »
Curieusement, dans le centre de Givors, la présence policière s’est renforcée après le départ des manifestants. Il semblerait que deux camions de CRS étaient planqués derrière l’église, probablement pour la manifestation.
Le cortège de bagnoles qui prenait part au mariage entravait apparemment un peu trop la rue, alors les flics n’ont pas hésité à gueuler sur une des voitures. A l’intérieur il y a Medhi qui conduit et sa femme, enceinte.
Medhi n’a même pas le temps d’obtempérer que la police hausse le ton directement en l’insultant et qu’un flic le chope par l’avant bras. Medhi esquive une première droite du flic. Il sort de la voiture et reçoit plusieurs coups de pieds et des coups de tonfa par derrière. Un des flics sort son Taser et le shoote. « Je suis resté tétanisé, je ne pouvais rien faire » !
Pendant ce temps la voiture est copieusement gazée ainsi que le cortège qui proteste. La jeune soeur de Medhi, 16 ans, qui veut l’aider reçoit des coups de matraque. Sa grand mère est malmenée elle est poussée par des policiers, sa tante qui est asthmatique sera même transportée à l’hôpital.
Medhi est embarqué au commissariat qui est à deux pas. Les portes du fourgon s’ouvrent, les insultes racistes fusent, les menaces aussi : « Allez descend, je vais te niquer, dans la cellule , je vais te prendre et te défoncer ! »
Medhi : « Du coup j’ai repensé direct à cette affaire de Farid… Je voulais pas descendre du camion poings liés, j’aurai pas pu me défendre, alors un flic m’a mis sa gazeuse à 2 centimètres du visage et j’ai dû m’exécuter. Une fois dans le commico, un des flics fait remarquer aux autres qu’ils auraient dû me sécher depuis le début, j’aurais fait moins d’histoires. Je lui ai fait remarquer qu’il n’avait pas à dire ça, alors il s’est énervé et m’a sorti des trucs que je ne répéterai pas parce qu’il y a ma mère à côté de moi… Entre autres « sale arabe ! »… et ce genre de choses. » [1]
Medhi est relâché aux alentours de 18h30, son père a négocié sa sortie auprès du commissariat, selon le bon vouloir des fonctionnaires. Il ressort avec une convocation. Des gens l’encouragent à porter plainte auprès du procureur et à faire attester ses blessures par un médecin. Medhi semble le premier convaincu de la nécessité de poursuivre les flics. « Si tu ne le fais pas, ça va se retourner contre toi. »
Medhi et sa famille décide d’aller à l’hôpital et de terminer ce mariage. _ Aucune raison que la peur du flic vienne parasiter encore un peu plus cette journée.
Un après-midi ordinaire en fait.
Voilà, il est 20h, on repart sur Lyon et on laisse la cité des Vernes à son quotidien :
- Un commissariat de Givors qui visiblement fait ce qu’il veut même si c’est complètement illégal, dans l’attente, espérons-le, d’une enquête sérieuse de l’IGPN [2] et de la Commission Nationale de Déontologie de la Sécurité.
- Des policiers de la BAC qui font chier les gamins qui rentrent de l’école.
- Des coups de pression et des coups tout court comme cet après midi.
Comment ne pas avoir les boules quand on grandit ici ?
Il n’y a pas une famille qui n’ait jamais eu des ennuis avec la police. Tout le monde a en tête les meurtres déguisés, les affaires bâclées, les cousins, les frères ou les voisins humiliés.
Dans ces villes de banlieues ouvrières où l’industrie a déserté, la campagne avoisinante ne peut même pas servir de refuge. On n’a pas idée du degré de violence des rapports de force entre le pouvoir et les habitants des quartiers populaires, et pourtant ça semble être la norme.
Notes
[1] par exemple : « fils de pute , je vais t’enculer. »
[2] Inspection Générale de la Police Nationale (la police des polices)
Marche pour Farid à Givors
Samedi 22 Janvier, ce sont plus de 300 personnes qui ont défilé dans les rues de Givors en hommage à Farid Lamouchi, 41 ans, décédé 10 jours auparavant dans d’obscures circonstances… à la prison de Corbas, après une très violente interpellation des policiers de Givors.
Après avoir été soupçonné d’un vol de cafetière et de 80 euros dans un bar de la ville, Farid se fait arrêter par la police et passe 48 heures en garde à vue. Ce sont 48 heures d’enfer où il subira un véritable passage à tabac, sera privé de ses médicaments (il a une tumeur au cerveau), devra accompagner deux fois les policiers pour des perquisitions où ils détruiront tout chez lui. Sa femme sera aussi invitée à venir témoigner pendant ces deux jours : les flics lui passeront les menottes sur son lieu de travail, alors qu’elle est alors intérimaire dans une chaîne de prêt à porter. En plus de perdre son mari, elle en perd aussi son travail.
A l’issue des ces 48 heures d’humiliation, Farid est présenté devant un juge dans un triste état : traces de coups, fatigues, manque de médicament… Son avocat, comme sa famille dans la salle, ne le reconnaissent pas. Le juge décide d’attendre une expertise psy pour le juger le 3 février et le place en détention préventive à la maison d’arrêt de Corbas. Deux jours plus tard, dans la nuit, la femme de Farid reçoit un coup de fil : « madame votre mari est mort il s’est pendu ». Comment se fait-il que Farid se retrouve seul dans une cellule avec des lacets alors que généralement, même les vêtements sont en papier… ? Comment a t-il pu se pendre à un lit superposé qu’il dépasse d’une tête… ? Pourquoi le procureur et le directeur de la maison d’arrêt ne racontent-ils pas la même histoire à la famille… ?
Une fois de plus les circonstances du décès défendues par l’administration pénitentiaire ne sont pas convaincantes et sont rejetées par la famille et les amis qui crient leur colère. Dans tous les cas, la version du suicide ne convainc pas la famille qui va essayer d’y voir plus clair en luttant face à la justice. Une histoire qui rappelle celle de Fakhradine, autre habitant du quartier des Vernes à Givors, lui aussi déclaré suicidé par l’administration pénitentiaire en 2008. Sa sœur était présente samedi, et elle fera partie du Comité Justice que la famille de Farid a monté à Givors avec l’association « Faites la Lumière en Détention » pour lutter contre toutes ces morts obscures et plus généralement contre les violences policières dont nombreux sont victimes les habitants de Givors.
Un reportage audio plus complet est en écoute ici
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Un reportage audio sur la marche hommage à Fakhradine en 2008 est en écoute ici