Une tribune pour les luttes


Postface - chapitre 12/12

La Fenêtre - Jean Michel Calvi

Article mis en ligne le vendredi 15 avril 2011

Postface

12-Postface-La fenêtre-JMCalvi

_ Comment se fait il que les enfants étant si intelligents, la plupart des hommes soient bêtes ? Cela doit tenir de l’éducation.
Alexandre Dumas père

Depuis toujours, les politiques se sont emparés de l’école, et heureusement car cela a permis l’émergence et l’installation de cette idée de l’école publique, laïque et gratuite. Cette école là est véritablement l’école de la République, une école pour tous, et doit le rester.
Malheureusement, les politiques ne se sont pas contentés de fonder cette école et de lui donner les moyens matériels et humains pour qu’elle vive, mais ils lui ont toujours ajouté une orientation basée sur l’idéologie du moment plutôt que de chercher de manière objective l’intérêt propre des enfants, de leur construction comme personne pleine et entière sans prédestination aucune. Ils ont toujours voulu mettre l’école au service des intérêts d’une société construite sur des bases économiques et idéologiques voulues. Il ne faut pas s’étonner alors que toutes les études montrent que l’école reproduit et parfois amplifie les inégalités sociales. Elle reproduit aussi et amplifie, ce qui est peut-être plus grave au regard de l’histoire de notre humanité, les attitudes et les fonctionnements qui font notre société. De nos jours, une certaine accélération du phénomène, due à ce qu’on pourrait appeler pour faire bref le libéralisme économique triomphant en tout lieu, montre cette reproduction de façon encore plus visible. Les programmes, les instructions officielles et souterraines, les pressions en tout genre à tout niveau de la hiérarchie, l’organisation de l’information sur l’école et ses résultats, la fabrication de l’opinion, le culte de la performance et de l’évaluation, le culte de la norme et de pseudos certitudes scientifiques, corsettent l’école et ceux qui y travaillent. Elle est une machine à fabriquer des élèves objets individualistes, passifs, sans vraie culture, mais formatés pour reproduire un seul comportement cognitif adapté à la reproduction de notre désastre.
Si encore nos sociétés, française et mondiales, étaient la perfection, on pourrait comprendre, bien que tout cela révèle tout de même une vision de l’homme très particulière plus proche du clonage perpétuel que de la liberté porteuse de possibilités nouvelles. Ce n’est pas le cas, il n’est, je pense, pas utile d’étaler à nouveau les maux qui font peser sur l’espèce homme le spectre de l’extinction ou simplement les disfonctionnements qui ont engendré de telles inégalités mondiales. Alors, pourquoi cette cécité qui nous pousse encore, avec une sorte de certitude imbécile, à faire reproduire à nos enfants les mêmes comportements et façons de penser les rapports humains et le monde qui, de toute évidence, nous mènent dans le mur ?
Il n’est pas étonnant qu’on se méfie ou qu’on moque ceux que l’on nomme les pédagogues, ceux qui essaient de réfléchir véritablement à la pédagogie, à cette science qui cherche à répondre à la question des modes d’acquisition des savoirs et compétences. La pédagogie n’est acceptée que lorsqu’elle limite la question aux modes de transmission passive des savoirs, comme s’il n’existait que le principe des vases communicants de personnes savantes vers des êtres vides. C’est la pédagogie dite frontale où le maître seul possède la connaissance et le chemin vers la connaissance semé d’écoute, d’exercices répétitifs et d’obéissance. Toute autre approche a toujours été marginalisée ou ignorée ou sanctionnée. Comme il est évident, en raison de nos modes de vie et de nos habitudes de consommateurs zappeurs, en raison aussi de la multiplication des lieux d’accès aux connaissances, que de plus en plus d’enfants n’arrivent plus à suivre passivement le déroulement des journées et des années scolaires, qu’ils sont moins attentifs ou moins longtemps, qu’ils perçoivent de moins en moins le sens de cette école et son intérêt réel ou qu’ils font de la résistance soft ou violente, alors, pour sembler lutter contre cela, on peut maquiller en instillant quelques méthodes dites actives qui donnent l’illusion d’une autre pratique. Mais tout est toujours maîtrisé par LE MAITRE, seul maître à bord. L’enfant n’agit véritablement jamais et ne décide ni des connaissances qu’il veut acquérir, ni de la manière de les acquérir.
Il serait imbécile de nier qu’il doit y avoir transmission des savoirs. Tout ne doit pas être à redécouvrir. Mais cette transmission doit plutôt se comprendre en terme de mise à disposition, de création de lieux multiples d’accès. Le pédagogue est présent pour aider, favoriser, accompagner l’émergence et l’accomplissement de projets qui seront porteurs, par nécessité, d’appropriation active des savoirs. La pédagogie doit donc s’interroger au comment un enfant peut s’approprier lui-même les savoirs et compétences dont il a besoin pour réaliser ses projets.
D’un côté nous avons une pratique qui nie l’enfant et exige qu’il devienne élève, élève au modèle unique, au savoir unique, au comportement unique, au mode d’acquisition des savoirs unique, une sorte d’objet manufacturé aux normes imposées. Les récalcitrants sont mis sur la touche, les incapables auront pour eux les tâches salissantes que le marché voudra bien leur accorder ou l’assistance minimale de survie, les vainqueurs feront partie de l’élite au pouvoir qui pourra reproduire à l’infini le moule avec la complicité des récalcitrants et des incapables dans lesquels l’école à construit les circuits neuronaux d’acceptation de leur statut. C’est une conception très hiérarchique de la société. L’enfant est considéré comme un être inférieur qui, en devenant élève, doit être obéissant à la loi du plus fort et ne doit en aucun cas avoir une pensée propre. Il se construit, se structure par ce schéma contraint et le serpent se mord la queue ad vitam aeternam. L’école est conçue dans ce but, par son fonctionnement lui aussi hiérarchique et infantilisant, par son organisation en cours uniques et grosses structures, par le choix des connaissances à transmettre (programmes) et leur hiérarchisation (programmations), par la sélection compétitive (évaluations normatives), par une pédagogie frontale qui ne pose que des questions dont les réponses sont induites et calibrées. C’est une école à réponse unique pour une société à réponse unique, sans ouverture vers le nouveau et les espérances de l’inconnu. C’est la mort de chaque individu dans une société qui prône en valeur absolue l’individualisme à condition que chaque terrien ait intégré le système de communication interne d’un individu type (ce qui est le rôle de l’école entre autres). J’entends également à longueur de journées que les élèves ne respectent pas les adultes ou les règles. Mais dès qu’un enfant entre à l’école, sa personne est niée de facto, elle doit laisser place à l’élève lambda. Comment exiger le respect quand le fondement même du fonctionnement est un non respect.
D’un autre côté, nous pouvons avoir une pratique qui, dès le départ, respecte l’enfant dans ce qu’il est individuellement et prend en compte son histoire dans la continuité de la vie. Un enfant est un être humain qui se structure pour devenir adulte et l’école est un des lieux très importants où cette structuration s’effectue, particulièrement par la façon d’aborder l’appropriation des savoirs dans leur transmission. Une école qui est organisée pour que la vie qui s’y institue donne la possibilité à tous les enfants de mener à bien de multiples projets individuels ou collectifs, une telle école, non seulement permettra à ces enfants de s’approprier eux-mêmes les savoirs dont ils ont besoin pour cela, mais leur permettra aussi d’explorer leurs propres démarches cognitives, de tâtonner dans leurs recherches, d’avoir une véritable attitude de chercheur et de se façonner une vraie pensée propre avec les capacités de l’exprimer. N’est-ce pas plus enthousiasmant pour des parents et porteur d’avenir ? N’est-ce pas plus enthousiasmant pour une société de voir venir des citoyens capables de réfléchir, d’explorer des voies nouvelles, d’être actifs et inventifs ? Que risque-t-on à l’heure actuelle ? Ne serait-ce pas le statu quo qui serait plutôt mortel ?
Il n’y a sûrement pas qu’une seule pratique qui permet cela. J’ai tenté, dans ce livre, de raconter quelques histoires les plus souvent vécues réellement, pour montrer l’une d’elle que j’ai vécue de longues années en classe unique essentiellement, en coopération avec un vaste réseau d’autres classes uniques et de petites écoles rurales. Cette pédagogie fonctionne et il serait dommage de pas l’analyser plus profondément en se référant aux nombreux écrits, témoignages, reportages qui ont été produits. Je ne veux pas ici expliciter plus longuement cette pédagogie de la structure et de la communication qui amène l’école du 3ème type. D’autres livres s’y emploient et je vous invite à les lire. Mais cette pédagogie fait partie de celles qui révolutionnent l’école et, à terme, peut donner à la société des hommes les moyens d’inventer un autre avenir.

Les politiques doivent continuer de s’emparer de l’école, mais pour mieux lui donner de la liberté tout en lui donnant les moyens matériels et humains de fonctionner au mieux. Quelques mesures simples qui donneraient de la liberté :

_ — Suppression de la notation/inspection telle qu’elle pour que les enseignants osent enfin changer leurs pratiques par de vraies incitations, une vraie formation, un véritable travail d’équipe.

_ — Suppression des programmes et des programmations détaillées.
L’école doit être le lieu où l’on peut s’approprier tous les langages en les manipulant dans de vrais projets de vie, ce qui n’empêche nullement d’avoir à disposition la liste des connaissances nécessaires à une bonne acquisition de ces langages. Suppression des contrôles des élèves et mise en place de vraies évaluations, à certaines étapes de la scolarité, portant sur un ensemble de compétences observées dans des situations complexes de vie. On sortirait de l’illusion entretenue qui fait croire que parce qu’un enseignant « a fait » le programme dans son année avec sa classe à un cours, tous les enfants ont acquis les connaissances abordées. Nous savons que ce n’est pas vrai et loin de là. On sortirait de cette course à l’échalote qui épuise tout le monde sans donner aucun résultat positif. Quant aux programmations, elles balisent, découpent dans le temps ce qu’il convient d’apprendre à tel âge, à tel moment de l’année, telle chose avant telle autre. C’est un carcan qui empêche toute liberté à la vie et à ses projets. C’est encore une illusion de pseudo efficacité et de logique, logique de hiérarchisation absurdes des connaissances.

— Arrêt de la pression du résultat et de la compétitivité, en donnant le temps à chacun de s’approprier durablement les langages et la culture véhiculée par ces langages. On ne mesure d’ailleurs que des résultats très partiels, très momentanées, mais dont on tire des conclusions parfois terribles parce que, à l’école, chaque enfant va en subir les conséquences et les enseignants se sentiront jugés et à nouveau tétanisés.

— Ne plus fermer les petites écoles rurales, ne plus les regrouper, et suppression des grosses écoles.
Pas d’école de plus de 5 classes, avec encouragement à instituer des cours multi-âges. Des écoles intégrée dans leur environnement et en liaison directe avec lui. Chaque enfant doit pouvoir se construire à l’école dans un petit groupe, en sécurité affective, dans une continuité et une osmose avec les autres structures de sa vie. Il faut donner au groupe toute son importance, qui permettra, par les communications qui s’y écoulent :
- l’émergence des projets porteurs d’apprentissages des langages ;
- la complexification la plus intense des circuits neuronaux en construction chez chaque enfant ;
-l’individuation de chacun si indispensable et tellement contraire à l’individualisme actuel qui tue le groupe et donc la société ;
- l’inscription dans une histoire personnelle à chaque enfant et dans une histoire des groupes auxquels il appartient, de la lente mais profonde appropriation des compétences qui donnent la liberté à chaque personne de devenir ce qu’elle veut devenir.

L’école a besoin qu’on ouvre ses fenêtres pour y laisser entrer la vie et pour lui permettre de devenir une vraie structure, c’est-à-dire un groupe où les inter-relations, les communications, entre les individus qui le composent, sont intenses et multiples. L’objet de ce livre n’était pas de montrer l’absurdité, dans l’école actuelle, de croire qu’il faut apprendre les règles des langages d’une manière uniquement mécanique. Mais un langage ne peut s’acquérir dans toute sa complexité que dans les situations pour lesquelles il existe, à savoir les communications, et avec un tâtonnement qui permet sans cesse de vérifier ses hypothèses. La liberté donnée à l’école devrait le permettre, sans doute de mille manières.
Lorsque je vois la pauvreté de la réflexion, la pauvreté de propositions nouvelles, dans des programmes politiques de tout bord, alors que tous portent des conclusions alarmantes non seulement sur l’école mais sur le fonctionnement général de nos sociétés, je ne peux que crier : osons, osons ! Nous risquons uniquement de voir des enfants actifs dans leur construction, des individus reconnus et libérés, des citoyens capables d’inventer un futur indéterminé. Chiche !
Ce serait la plus belle preuve d’amour donné à nos enfants et à la vie.

La Fenêtre - Jean Michel Calvi - 2011

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Vos commentaires

  • Le 18 avril 2011 à 21:14, par Bianca En réponse à : Postface - chapitre 12/12

    Je ne peux qu’acquiescer à l’analyse qui est faite de l’école telle qu’elle est actuellement,telle que la veulent les gouvernants. La maltraitance institutionnalisée et la casse de l’enfance ne peut nous mener qu’à la catastrophe.
    La violence avec laquelle cette société traite ses enfants est criminelle.

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