Une tribune pour les luttes

Pièces et main d’œuvre

Catastrophe nucléaire : on vous l’avait bien dit

Article mis en ligne le jeudi 17 mars 2011

http://www.piecesetmaindoeuvre.com/spip.php?article308

« L’apocalypse » en cours au Japon est tout sauf inattendue et imprévue. On peut en dire comme de bien d’autres
malheurs : vous en savez déjà suffisamment, nous aussi. Ce ne sont pas les informations qui nous font défaut, ce
qui nous manque, c’est le courage d’admettre ce qui nous arrive et d’en tirer enfin les conséquences. Voici
cinquante ans que nous vous mettons en garde, nous, prophètes de malheur, oiseaux de mauvais augure,
cassandres, obscurantistes, rabat-joie, écolos rétrogrades, punitifs, intégristes, ayatollah verts, anarchistes
irresponsables, baba cool... Cinquante ans que vous nous invitez à retourner vivre dans une caverne d’Ardèche,
vêtus de peaux de bêtes, éclairés à la bougie et nourris de lait de chèvre.
Vous n’avez jamais eu le temps ni l’envie de vous opposer au nucléaire. Vous n’avez jamais manifesté, pas
même contre SuperPhénix à Malville en 1977. À Grenoble, vous vous êtes accommodés des années durant de la
présence de trois réacteurs nucléaires en zone urbaine (Siloë, Siloette, Institut Laue Langevin). Votre mode de
vie n’est pas négociable. Vous vous éclairez au nucléaire, à en tuer l’obscurité nocturne dans les villes ; vous
vous chauffez au nucléaire ; vous produisez et consommez au nucléaire ; vous vous connectez au nucléaire ;
vous vous déplacez au nucléaire (TGV, voitures électriques) ; vous travaillez pour le nucléaire et vos emplois
valent plus que vos vies. Vous votez pour le nucléaire, vous élisez maire de Grenoble Hubert Dubedout, Michel
Destot, ingénieurs du Commissariat à l’énergie atomique, et bien d’autres de leurs semblables dans la cuvette.
Vous vivez par le nucléaire, il n’est que trop normal que vous mourriez par le nucléaire ; lentement à coup de
cancers disséminés dans l’environnement ; brutalement quand « l’accident qu’on ne pouvait pas prévoir » fait
enfin sauter Bugey, Cruas, le Tricastin ou l’une des 58 centrales qui vérolent le pays le plus nucléarisé du
monde. Jamais vous ne vous y êtes opposés. Le nucléaire paie la taxe professionnelle, vos piscines municipales,
vos salles polyvalentes, vos cours de tennis. Vous l’avez choisi. Vous l’avez mérité. Pas de jérémiades le jour où
vous devrez bondir avec toute votre famille dans votre voiture pour fuir une zone irradiée et bouclée par l’armée.
Ne nous parlez pas de vos enfants, des générations futures, de leur avenir, de « développement durable » et
« d’énergies alternatives ». Toute votre existence prouve assez que vous vous moquez de ces mots creux.
Que si ces lignes vous scandalisent, joignez le geste à la parole et prouvez enfin par vos actes que vous n’êtes
pas complices du sort qu’on vous fait. Mais comment le croire.

Vous en savez suffisamment, nous aussi. Mais qu’à cela ne tienne, on va faire semblant encore une fois. On va
encore une fois faire comme s’il vous manquait les informations et les idées pour vous faire une opinion et agir
en conséquence. Et vous pourrez toujours nous renvoyer dans nos cavernes d’Ardèche.

***

Tandis que fondent les réacteurs nucléaires à Fukushima, experts et décideurs s’empoignent sur les avantages
comparatifs entre désastre nucléaire, climatique (pétrole, charbon, gaz de schiste) et alternatif (photovoltaïque,
éolien). Et chacun de nier l’évidence : il n’y a pas de survie à long terme pour les goinfres. La course à la
croissance nous condamne, et ceux qui placent l’économie, l’emploi et l’argent avant la vie sont coupables. Les
victimes de Tchernobyl, de Fukushima et des prochaines catastrophes sont victimes de la voracité, que les
technocrates dissimulent sous l’impératif de l’innovation. C’est un ingénieur nucléaire qui le dit : "A travers elle
(NDR : l’innovation) apparaît le développement des activités économiques qui génère lui-même des emplois
pour l’ensemble de nos concitoyens. Il y a là une véritable mine d’or, prenons-en conscience.
"[1] Ainsi parle
Michel Destot, maire CEA-PS de Grenoble, toujours prompt à louer la dernière « révolution technologique
majeure porteuse de nombreuses promesses pour notre santé, notre qualité de vie, l’avenir environnemental de
la planète
 »[2], et qui n’a pas trouvé le temps, cinq jours après le début de la catastrophe nucléaire japonaise, de
commenter cette expérience scientifique à ciel ouvert. Mercredi 16 mars 2011, son blog titre en une sur la « 9e
édition des Trophées des sports
 ».

En janvier 2007, Pièces et main d’œuvre publiait « Minatec survolté, énergie engouffrée », texte qui soulignait
l’un des innombrables mensonges des nécrotechnologies. L’industrie high-tech n’est pas plus propre ou
«  économe » que la métallurgie ou la pétrochimie. L’ouverture de Minatec fait bondir la consommation
électrique de Grenoble de 17,6 %. Pour répondre aux besoins énergétiques des labos de nanotechnologies (vous
savez, ces technologies qui nous sauveront de la catastrophe écologique), Gaz et Electricité de Grenoble a créé
un nouveau poste d’alimentation délivrant « une puissance exceptionnelle de 70 mégawatts » (GEG Infos, 2006).
Du côté de la « Silicon Valley grenobloise », à Crolles, l’Alliance STMicroelectronics/IBM et son usine à puces
électroniques engloutissaient 370 millions de kWh en 2008, contre 320 en 2004, soit une augmentation de 16 %
en quatre ans [3]. François Brottes, député-maire de Crolles, à propos de la rénovation d’un poste de transformation
électrique 225 000 volts dans le Grésivaudan : « C’est vital sur notre territoire, où beaucoup d’emplois
dépendent d’un approvisionnement en énergie sûr et continu. Si le fabricant de semi-conducteurs
STMicroelectronics a choisi de s’implanter à Crolles, c’est parce que nous avons pu lui apporter des garanties
sur la fourniture d’électricité. » [4] Comme pour l’eau, faut-il le rappeler.
La «  révolution industrielle » des nanotechnologies exige toujours plus d’énergie, pour faire tourner les «  fab »
de nanomatériaux et de puces électroniques. Pire, elle crée un monde encore plus vorace en électricité. Comment
croyez-vous que fonctionnent les gadgets que vous accumulez sur injonction publicitaire, par peur de rater la
dernière vague du progrès ? Votre portable, votre ordinateur, votre lecteur DVD, votre écran plat, votre box
Internet, votre lecteur MP3, votre tablette numérique, votre machin à lire des «  livres électroniques », à quoi
tournent-ils ? Cette quincaillerie moderne et tellement pratique nous précipite dans l’abîme – carbonique ou
nucléaire. Écoutez cet expert de la Direction régionale de l’Industrie, de la Recherche et de l’Environnement
(DRIRE Rhône-Alpes) : "On ne pourra jamais répondre aux besoins actuels avec ces énergies alternatives". [5]

La vie numérique et connectée que nous vendent Minatec, Minalogic et les boîtes pour lesquelles travaillent les
ingénieurs grenoblois contient, parmi ses multiples promesses, celle des futures catastrophes nucléaires.
Voyez plutôt :
- chaque recherche sur Google brûle autant qu’une ampoule basse consommation pendant une heure6.
- les technologies de l’information et de la communication (TIC) gaspillent 13,5 % de la consommation
électrique française (soit 58,5 TWh) ; les téléviseurs à écran plat et leurs périphériques (décodeurs,
équipement TNT) constituent le coût le plus important. Avec un taux de croissance moyen de 10 %, les TIC
pèseront pour 20 % de la consommation d’électricité française dès 20127 - soient 9 centrales nucléaires.
- la consommation d’électricité dans le secteur résidentiel de l’Union européenne a crû ces dernières années à
un rythme comparable à celui du PIB global (10,8 %). Cette demande croissante est due à l’usage généralisé
d’appareils comme le lave-vaisselle, le sèche-linge, le climatiseur, l’ordinateur personnel, et à l’essor de
l’électronique grand public et des équipements informatiques et de communication - décodeurs, lecteurs de
DVD, équipements à haut débit et téléphones sans fil (source : Reuters).
- en 2006 les « datacenters » (qui hébergent des serveurs informatiques et équipements de
télécommunications) aux Etats-Unis ont consommé 61 milliards de kWh - l’équivalent de la consommation
du Royaume-Uni en deux mois – soit deux fois plus que cinq ans plus tôt8.
- selon un chercheur de l’université de Dresde, Internet consommera dans 25 ans autant d’électricité que
l’humanité en 2008 (source : www.dotgreen.fr).

Les technologies numériques tuent ces jours-ci au Japon. Ceux qui vous disent qu’on peut à l’infini augmenter la
production et la consommation, le pillage des ressources naturelles, la pollution du milieu naturel, sont des
criminels qui vous mentent et nient la réalité. Les limites de la Terre s’imposent à nous et nous imposent des
choix. Ce n’est pas grave. Nous n’avons pas besoin d’objets « intelligents ». Nous avons besoin d’être
intelligents, de déchirer le voile de la propagande techno-scientiste, de refuser la consommation meurtrière et
abrutissante, de jouir de notre existence de Terriens.
La vie est tout ce que nous avons. Ce n’est pas parce qu’EDF, Areva et le CEA nous détruisent
que nous devons être leurs complices. Débranchons-nous.

Pièces et main d’œuvre
Grenoble, le 16 mars 2011

Retrouvez ce texte et bien d’autres sur www.piecesetmaindoeuvre.com

1. In L’espace alpin et la modernité, bilan et perspectives au tournant du siècle, sous la direction de D. J. Grange, PUG 2002

2. Inauguration de Minatec, 2 juin 2006

3. D’après une étude réalisée par le cabinet Oxalys pour la ville de Crolles, en juin 2010
« Réso Rhône-Alpes Auvergne », journal de RTE (Réseau de Transport d’électricité), décembre 2010

5. Serge Eymont, interviewé par "Objectif Rhône-Alpes", avril 2002

6. Source : http://www.dotgreen.fr/ewb_pages/g/green-it_le-saviez-vous.php

7. Conseil général de l’environnement et du développement durable et Conseil général des technologies de l’information (2009)

8. Étude de l’Agence de Protection de l’Environnement Américaine

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Vos commentaires

  • Le 18 mars 2011 à 03:51, par kanémalin En réponse à : Catastrophe nucléaire : on vous l’avait bien dit

    Très drôle la seconde interview de l’opérateur rfid. Je vous l’enverrai bientôt.

    Et moins drôle, voici ce que nous dit une instance génocidaire particulièrement frénétique mais qui prétend à l’anonymat (Veut le Vent d’Otan). Alors on va l’éventer :
    Les chances de la paix sont faibles. Les généraux sont faits par Dieu (Celui qui sait caresser la troupe).
    D’ailleurs on vous tient par les couilles depuis l’antiquité romaine (- scolarité en apparence normale.ndr), mais à présent vous êtes vraiment morts. Un peu comme Nous. C’est irréversible, c’est inénarrable, même et surtout pour les courageux dénonciateurs qui font notre gloire.
    Il est encore plus facile de fabriquer sa propre opposition dans l’œuf, mais alors littéralement, que de noyauter les contre-pouvoirs existant.
    Voilà, voilà. (autosatisfaction potache)
    Rassurez-vous, ladite opposition, c’est à quelques personnalités augmentées qu’elle est au mieux réduite. Vous, comme vous êtes déjà bien endormis sur vos bécanes cryptées je crois qu’on ne vous compte même plus comme cobayes.

    Le ton de l’évidence.

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