Une tribune pour les luttes

Georges CORM : « L’instrumentalisation du religieux, poison récurrent du Moyen-Orient »

Article mis en ligne le dimanche 10 juin 2012

Les peuples acteurs du printemps arabe se trouvent maintenant confrontés à une contre-révolution dans laquelle s’investissent le triptyque Arabie saoudite-Qatar, États-Unis-
Union européenne et les mouvances islamistes. C’est ce qu’explique Georges Corm, spécialiste de la région. L’économiste et historien libanais revient aussi sur la complexe situation syrienne.

Entretien réalisé par Pierre Barbancey

Quel bilan tirez-vous de ce que l’on appelle les printemps arabes  ?

Georges Corm. Il s’est effectivement passé de grands événements depuis un an et demi. Ce que j’ai appelé révolte arabe, plutôt que révolution, s’est déroulé en plusieurs phases. D’abord lorsque toutes les sociétés arabes, au cours de janvier, février et début mars 2011, se retrouvent dans la rue, toutes tranches d’âges et toutes classes sociales confondues, pour contester les pouvoirs en place. Elles dénoncent tout à la fois l’autoritarisme politique et le manque de liberté mais, surtout, les conditions socio-économiques et, notamment, le très fort taux de chômage qui caractérise les économies arabes. Celui-ci atteint les 30 % chez les 15-24 ans. Il y avait donc à la fois une demande de dignité sociale et une demande de libéralisation politique. Ces mouvements, qui se sont pratiquement déroulés d’Oman jusqu’à la Mauritanie, ont inspiré aussi différents mouvements européens contestant le néolibéralisme, les politiques d’austérité, la montée du chômage, la précarité de l’emploi des jeunes… On a eu là un très beau moment où les deux rives de la Méditerranée se sont mises à l’unisson pour contester des pouvoirs en place.

Dans une deuxième étape, malheureusement, va se réaliser ce qu’on peut appeler la contre-réaction. L’acte le plus extraordinaire, même si les médias occidentaux en ont très peu parlé, a été l’entrée des troupes saoudiennes à Bahreïn, pour mettre au pas les manifestants qui campaient sur la principale place de la capitale, Manama. Il y a un second dérapage qui a lieu au Yémen (où il faut saluer le rôle capital des femmes dans les manifestations), avec un président, Ali Abdallah Saleh, manifestement soutenu par l’Arabie saoudite. Par la suite, la situation va dégénérer à la fois en Libye et en Syrie. En Libye, il y a l’intervention de l’Otan, avec des bombardements massifs dont on peut se demander s’ils étaient vraiment nécessaires pour chasser le dictateur libyen.

Que se passe-t-il exactement en Syrie  ?

Georges Corm. En Syrie, la bataille se déroule sur trois niveaux. Il y a des questions purement locales avec, là aussi, une détérioration des conditions socio-économiques, notamment dans les campagnes. Mais le pouvoir s’est mis dans une posture de déni de ce qui se passe chez lui. La question va ensuite devenir régionale avec des interventions extrêmement brutales de la part du Qatar, de la Turquie et de l’Arabie saoudite. Des pays qui entendent donner des leçons de démocratie au régime syrien  ! Enfin, le niveau international où brusquement la Chine et la Russie se révoltent contre l’instrumentalisation du Conseil de sécurité de l’ONU par les États-Unis et leurs alliés. À ce moment-là, la bataille pour la Syrie devient emblématique d’une volonté de briser l’unilatéralisme américain, européen et des pays de l’Otan dans la gestion de la planète. Donc, la situation syrienne devient extrêmement compliquée.

Où se trouve la solution  ?

Georges Corm. Aujourd’hui, il n’y a pas de solution au problème syrien  ! Vous avez une guerre médiatique, une guerre des images qui est presque sans précédent dans l’histoire des médias où l’on n’a que la thèse du Qatar, de l’Arabie saoudite, des États-Unis, de la France et des autres pays européens. Ce que peut dire le régime politique n’est pas entendu du tout. Bien sûr, même si l’on n’a pas de sympathie pour le régime syrien, ce que je comprends parfaitement, il faut quand même, dans une situation qui est déjà une guerre civile ouverte, écouter ce que disent toutes les parties et pas une seule, si on veut aller vers l’apaisement. J’ai dit déjà qu’il fallait distinguer les plans local, régional et international concernant le problème syrien. Au niveau local, vous avez deux types d’oppositions qui sont très différentes l’une de l’autre et qui s’écartent de plus en plus. Vous avez l’opposition dite de l’intérieur, qui est constituée de très nombreux militants de la première heure opposés au régime, qui ont pu faire parfois plus de dix ans, quinze ans ou vingt ans de prison, tel l’ancien dirigeant communiste Riad Al Turk qui a passé dix-huit ans en isolement. Cette opposition intérieure ne se laisse pas prendre dans les filets des diplomaties occidentales, comme le fait l’opposition de l’extérieur.(...)

http://www.humanite.fr/tribunes/geo...


Une voix originale

La voix de Georges Corm, économiste et historien libanais, est d’autant plus intéressante qu’elle tranche souvent avec le politiquement correct de nombreux analystes, qu’ils soient américains, européens ou même arabes. Auteur de nombreux ouvrages de référence sur la question moyen-orientale – citons l’indispensable Proche-Orient éclaté (Gallimard) et Orient-Occident, la fracture imaginaire (La Découverte). De Beyrouth, où il enseigne à l’université Saint-Joseph, dans un pays multiconfessionnel, il ne pouvait que s’intéresser également à la Question religieuse au XXIe siècle (La Découverte). On lui doit aussi le Nouveau Gouvernement du monde. Idéologies, structures, contre-pouvoirs, toujours aux éditions La Découverte. Il vient d’actualiser un ouvrage là encore indispensable à qui veut comprendre le pays du Cèdre, le Liban contemporain  : histoire et société (La Découverte, 2012), où il analyse finement les évolutions récentes de ce pays, 
les tensions auxquelles il est soumis et surtout, 
au regard de l’histoire, ébauche les chemins possibles, 
hors des impasses actuelles où mène le confessionnalisme omniprésent.

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