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Quand socialisme rime avec populisme : lettre ouverte à François Bernardini

Par Fredgrimaud

Article mis en ligne le vendredi 11 octobre 2013

http://blogs.mediapart.fr/blog/fredgrimaud/061013/quand-socialisme-rime-avec-populisme-lettre-ouverte-francois-bernardini

06 octobre 2013

Monsieur le maire François Bernardini.

Si aujourd’hui je réside à Martigues, j’ai grandi et passé ma jeunesse, de la maternelle à l’Université à Istres. J’ai le souvenir des activités sportives gratuites du CIAS, du collège ouvert Savary, de l’Espace Pluriel Jeunes… souvenirs aujourd’hui recouverts d’une tâche sombre à la lecture de votre blog. L’article que vous avez signé : « Quand humanisme rime avec angélisme  » m’a d’abord laissé sans voix. J’avais rarement lu un tel déferlement de haine contre un peuple dans un seul texte. Bravo pour la performance. Mais après une nuit de mauvais sommeil, j’ai décidé de prendre le clavier et de vous adresser cette lettre ouverte.

Sachez en préambule que je ne participe aucunement à la politique locale istréenne, que je me moque des pro-Bernardini comme des anti-Bernardini. Bien sûr j’ai mes opinions, mais cette lettre n’est pas dirigée contre vous ou votre bilan à la maire, elle concerne stricto senso votre article sur votre blog.

Sachez aussi que ma première réaction a été de me renseigner pour savoir comment déposer plainte contre vous pour incitation à la haine raciale, qu’à mon avis votre article mérite bien ça, mais que j’ai compris rapidement que c’était plus compliqué que prévu et, n’étant pas Don Quichote, je me contenterai de ce courrier. Je n’ai relevé « que  » 10 points témoignant de votre violence à l’égard des roms. Violence de vos propos dont j’espère vous mesurez la responsabilité.

1°) Vous avancez dans votre article que : « La courbe des délits perpétrés coïncide avec la présence de certains d’entre eux (i.e : les roms) ». Tout d’abord, vous n’êtes pas sans savoir que les statistiques ethniques étant interdites dans ce pays, ces affirmations n’engagent que vous, et ne sont basées sur aucun élément objectif. Mais même si c’était vrai, la faiblesse de cet argument n’a d’égal que la bassesse de vos propos. Car de quoi parle-t-on ? De l’économie de la pauvreté à laquelle sont condamnés les roms en France, privés du droit de travailler : mendier, faire les poubelles, piquer du fer par ci, du cuivre par là, voler des trucs de prolos : un vieux vélo sur un balcon ou du linge sur un étendage ? C’est à cette délinquance que vous faites référence ? Le vrais voleurs Monsieur Bernardini, ce sont les entreprises qui échappent à l’impôt, les ministres qui planquent leur fric dans des paradis fiscaux, les élus qui détournent des fonds publics. Combien de milliards pour l’évasion fiscale ? Puisque vous vous érigez en grand pourfendeur de la délinquance, prenez-vous en à vos congénères, à ceux que vous croisez certainement dans quelques salons dorés, et qui pillent quotidiennement l’argent des travailleurs pour les mettre dans la cagnotte du capital.

2°) Vous posez la question suivante : « Est-ce faire preuve d’inhumanité en disant que les formes de vie de cette communauté sont difficilement compatibles avec les nôtres ? ». Si votre communiqué est un QCM, ma réponse est : oui ! Ce que vous dites ici, dans le sillage de Valls, NKM, Soral ou Hortefeux, et qui consiste à penser que les étrangers auraient des mœurs qui ne peuvent coexister avec « les nôtres  » est la plus grosse sottise médiatique du moment. D’abord, il convient de se demander de qui on parle quand on dit «  les nôtres  » ? J’imagine que mon mode vie n’a rien à voir avec celui de Bolloré, ni avec celui d’un agriculteur Breton, d’une danseuse du Lido, d’un religieux vivant dans un cloitre ou d’un président du FMI… une vie n’a rien à voir avec une autre, et tracer deux ensembles : un « nous » imaginaire et les roms, est pour le moins hasardeux. D’autres y ont pensé avant vous et ont, à une époque, dit que les algériens venus construire la voix ferrée qui passe à Istres ne pourraient jamais s’intégrer, ou bien que les italiens venus travailler à Verminck à Martigues avaient des modes de vie trop différents pour pouvoir jamais faire partie de la société française. L’histoire leur a donné tord, et vous aussi avez tord.

3°) Vous prétendez être en face de « peuples de nomades ». Comme si le nomadisme était inscrit dans les gènes. Pour avoir discuté récemment avec les roms installés près de chez moi à Martigues, ma foi ceux-là ne demandent qu’un endroit pour vivre paisiblement, avec leur famille. D’ailleurs en Roumanie, ils avaient une maison qu’ils ont dû laisser, poussés par la misère et le racisme.

4°) Vous vous demandez «  Comment peut-on accepter la dégradation des conditions sanitaires de ces familles et du milieu dans lequel elles vivent ?  ». Je suis d’accord avec vous sur ce point. Comment accepter que des enfants ne puissent suivre une scolarité correctement, que des bébés soient privés de l’accès à l’eau courante, que des femmes enceintes ne bénéficient pas du minimum de soins médicaux…le tout dans la 5° puissance économique du monde. Le minimum de courage politique consisterait à affronter cette question avec autant de panache que n’en a le jet d’eau de l’Etang de l’Olivier ! Le maire de Gardanne par exemple s’est attelé à la tâche, s’appuyant sur une partie de la population qui elle non plus ne tolère pas les conditions dans lesquelles ces familles vivent.

5°) Vous en appelez au respect du droit : «  D’une nouvelle constitution qui viendrait soudainement remplacer la précédente en préconisant l’inégalité des citoyens devant la loi ? Le droit qui ne s’appliquerait qu’à l’ensemble des français, laissant sans impunité les Roms envahir les terrains publics et privés ? Mieux encore admettre que la misère devient l’excuse officielle pour ne pas respecter les règles de notre Pays ?  ». Deux petites choses sur le respect de la loi. Dans un premier temps, elle s’applique d’abord et surtout aux élus de la République. Il existe par exemple deux loi, dites loi Besson, datant de 1990 et 2000 obligeant les communes à avoir des aires d’accueil pour les gens du voyage. Respecter la loi, ok, à commencer par soi-même ! Ensuite, il faut n’avoir jamais eu faim pour ne pas comprendre celui qui vole pour se nourrir…mais là j’imagine que c’est un argument trop angélique pour vos oreilles.

6°) Vous attisez le mythe de l’invasion barbare : «  Certains viennent en train pour traîner dans nos rues, pour chaparder dans nos maisons ». … en d’autres termes :«  Ils arrivent, Sie Kommen  » comme disait Jean-Marie Le Pen dans son discours à Six-Four. Monsieur le Maire, rassurez vous, les roms ne sont que 17 000 dans ce pays. 17 000, pour vous donner une idée, c’est à peine la capacité du stade Parsemain à l’entrée d’Istres. Pas de quoi crier avec les loups non ?

7°) Vous agitez le chiffon du Front National : « C’est justement le laxisme, le laisser-faire, l’abandon des civilités qui sonnent les sirènes du Front National  ». Je vois bien là votre crainte, à 5 mois des municipales, d’avoir le FN à votre porte dans une ville où il a fait un score de 46% au second tour des législatives. Là aussi je me dois de vous contredire. Ce qui fait monter le FN, c’est quand tout le monde lui emboite le pas, validant ses thèses obscènes. Dans ce texte, vous courrez après Valls, qui court après Copé, qui court après Le Pen. Jusqu’où êtes-vous prêts à aller dans cette course sans vainqueurs ?

8°) Vous faites preuve d’un amalgame qui témoigne de votre ignorance du peuple Rom lorsque vous rappelez que : « Nous connaissons plus fréquemment les camps provisoires des gens du voyage qui s’implantent au gré de leur humeur ». Vous faites alors référence à un convoi d’évangélistes traversant la France et ayant fait halte cet été à Istres ? Rien à voir avec les roms. Comme vous critiquez les « doctes professeurs de morale universelle », je ne vous ferai pas la leçon. Mais un de ces jours, ouvrez un livre qui parle des roms, lisez un texte de Hugo ou une lettre de Flaubert…je peux vous en conseiller des bons.

9°) Vous opposez les gens entre eux : «  travail et logement ……… idées justes et adéquates, mais terriblement limitées au regard de nos besoins et de nos moyens pour répondre déjà à notre population ». C’est à ce moment du texte que vous avez définitivement perdu toute mon estime. La préférence nationale, celle brandie par ceux qui prétendent qu’il n’y a pas assez de logement dans ce pays, pas assez de travail pour tout le monde et qu’à ce titre, il vaut mieux le réserver aux français, est déjà assez difficile à lire dans un texte de droite pour le retrouver dans un texte de celui qui entend rassembler la gauche à Istres ! Pour votre gouverne, les logements vides ne manquent pas, et d’ailleurs les roms ne demandent qu’à ce qu’on ne les expulse pas, pas qu’on les loge dans des maisons ! En ce qui concerne le travail, si le chômage est un problème en France, prenez vous en à ceux qui en sont responsables, aux politiques libérales menées partout en Europe, aux grands groupes capitalistes qui licencient alors qu’ils engrangent des bénéfices records… mais s’il vous plait, laissez les roms en dehors de ça !

10°) Vous critiquez les humanistes «  En aucun cas on ne peut prescrire la force de l’humanisme et le recours à la dignité pour tolérer des agissements non conformes à nos lois  ». Je ne commenterai pas longuement cette phrase, ni le titre de votre article. J’espère que les humanistes votant à Istres (il y en a !) s’en souviendront.

Pour toutes ces raisons Monsieur le Maire, votre communiqué est puant, raciste, irresponsable, et indigne d’un homme de gauche. Indigne d’un homme tout court d’ailleurs, car s’en prendre comme vous l’avez fait à ceux qui n’ont rien, à ceux qui vivent dans la boue, privés d’eau potable, de soins, d’éducation… c’est faire preuve d’une profonde inhumanité. Vous savez, ce qui distingue une communauté d’humains d’une communauté d’animaux, c’est uniquement l’attention que nous portons aux plus faibles, au plus démunis, aux plus fragiles d’entre nous. J’ai connu de belles choses à Istres, je sais que de nombreux élus, dont vous êtes certainement, se dévouent pour cette ville, y mettent du cœur… et l’histoire retiendra quoi ? Que François Bernardini est allé chasser l’électeur du Front National en faisant les fonds de caniveaux. Je vous plains au fond d’être réduit à faire ça.

Pour finir, vous en appelez dans votre texte au «  bon sens du peuple  ». Le même bon sens du peuple qui disait il y a 80 ans que les juifs étaient responsables de tous les maux ? J’ai relu votre texte en imaginant qu’on était en 1930 et en remplaçant « rom  » par «  juif  »… ça fait peur hein ?

Je n’ai écrit que ce que j’ai ressenti en lisant votre bloc, je n’ai rien contre vous personnellement, ni contre Manuel Valls, ni contre Christophe Masse, ni même contre le parti socialiste…mais il va bien falloir qu’à gauche on se réveille et qu’on arrête cette surenchère folle. Sinon, socialisme pourrait bien finir par rimer avec racisme !

Merci quand même d’avoir pris le temps de lire cette lettre.

Frédéric Grimaud

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