mis en ligne le 23 mars 2014
Le témoignage d’Alain Castan
Jean-Luc Einaudi vient de décéder.
Cétait un ami très cher, un camarade, resté toute sa vie un militant anticolonialiste et antiraciste.
Tout le monde se souvient de son travail remarquable sur le 17 Octobre 61 et de son témoignage au procès Papon. D’autres ouvrages sont malheureusement moins connus comme celui consacré à Fernand Yveton, militant communiste algérien "fusillé pour l’exemple".
Je l’avais connu au début des années 70 alors qu’il était tout jeune militant. En 1972 il faisait partie de ce que nous appelions un "voyage de cadres" en Chine alors que le Parti communiste marxiste léniniste de France était clandestin. J’avais la charge de ce voyage au long cours.
Plus tard il devint secrétaire général des JCMLF et rédacteur en chef de l’Humanité Rouge.
Lorsque ce parti se décomposa, au début des années 80, il resta en relation fraternelle avec tous et persévéra dans ce qui avait été le fondement de nos engagements l’anticolonialisme, la solidarité avec les travailleurs immigrés et l’antiracisme.
Jean-Luc n’était pas un historien de formation, mais il a osé là ou d’autres n’osaient pas franchir les lignes , il a permis par son action résolue que commence à s’ouvrir les archives jusqu’à lui cachées et que la mémoire des centaines d’algériens assassinés le 17 octobre 61 soit préservée .
Les obsèques auront lieu vendredi 28 à 14h 30 au Père Lachaise.
Jean-Luc Einaudi, pionnier de la mémoire de la guerre d’Algérie, est mort
Le Monde.fr | 23.03.2014
L’auteur de La bataille de Paris, 17 octobre 1961 (Seuil, 1991), Jean-Luc Einaudi, dont les écrits ont mis en lumière, de façon magistrale, le rôle de l’État français dans la répression des luttes pour l’indépendance algérienne, s’est éteint, samedi 22 mars, à Paris, emporté par un cancer fulgurant. Né le 14 septembre 1951, Jean-Luc Einaudi a travaillé toute sa vie comme éducateur, auprès des jeunes – auxquels il consacra un livre, Les mineurs délinquants (Fayard, 1995). Il venait, il y a deux ans, de prendre sa retraite.
(...)
Son livre La bataille de Paris levait le voile sur l’une des pages les plus sombres de l’histoire franco-algérienne, sur laquelle l’université ne s’était, jusque là, guère penchée. Le 17 octobre, et dans les semaines qui suivirent, « plus de cent cinquante personnes sont mortes ou disparues », révélait Jean-Luc Einaudi, pointant du doigt la responsabilité des forces de l’ordre – alors dirigées par le préfet de police Maurice Papon.
Cet ouvrage allait provoquer un véritable choc dans la société française – et connaître un succès retentissant. Une nouvelle édition augmentée, Octobre 1961. Un massacre à Paris (Fayard-Pluriel), a été publiée en 2011. Jean-Luc Einaudi allait néanmoins longtemps payer son courage et sa détermination. En 1999, Maurice Papon, alors poursuivi pour crimes contre l’humanité, portait plainte contre Jean-Luc Einaudi, dont les déclarations devant la cour d’assises de Bordeaux l’avaient ulcéré. L’ancien préfet de police fut finalement débouté. Mais cette bataille laissa des traces – avec, notamment, la « mise au placard », durant de longues années, de deux conservateurs des archives de Paris, « victimes de sanctions dissimulées », s’indigna Jean-Luc Einaudi.
BRISEUR DE TABOU ET HÉROS MORAL
Passionné d’histoire, l’éducateur de la PJJ (Protection judiciaire de la jeunesse, au sein du ministère de la justice) s’intéressa aussi aux « petites gens », à ces « militants sans défaillance, qui lui ressemblaient », relève l’historien René Galissot. Du père Georges Arnold, curé du Prado, à Baya Allaouiche, en passant par Lisette Vincent, Maurice et Odette Laban, la liste est longue de tous ceux – et celles, surtout – auxquels Jean-Luc Einaudi prêta sa voix, leur rendant hommage à travers des biographies.
Briseur de tabous, ne craignant point de s’attaquer à plus puissant que lui, que ce soit en France ou en Algérie – qu’il sillonna longuement, en 1987 – cet auteur atypique fut un « héros moral », souligne l’historien algérien Mohammed Harbi. Derrière son apparence de rugbyman bourru, Jean-Luc Einaudi cachait une immense sensibilité. On la retrouve, intacte, comme sa colère face à l’injuste, dans son dernier ouvrage, Le dossier Younsi. 1962 : procès secret d’un chef FLN en France (Tirésias, 2013), un livre dérangeant et rare, à l’image de l’auteur.
Les funérailles de Jean-Luc Einaudi auront lieu cette semaine, au cimetière parisien du Père Lachaise.
Catherine Simon
Hommage à un historien
Quelques souvenirs de Jean-Luc Einaudi
par Faysal Riad
24 mars 2014
C’est avec une profonde tristesse que nous apprenons la disparition de Jean-Luc Einaudi, et que nous nous associons à l’hommage qui suit.
Grande perte, notre peine est immense : l’historien et militant Jean-Luc Einaudi vient de nous quitter. Son ouvrage La Bataille de Paris – 17 octobre 1961 paru en 1991 est une des premières grandes synthèses recueillant toutes les informations alors disponibles sur un crime d’Etat très longtemps occulté : le massacre des Algériens à Paris le 17 octobre 1961.
Ce livre remarquable et rigoureux joua un rôle majeur dans la diffusion de la connaissance de cette date en France – tout comme le procès qui lui fut intenté en 1999 par le déporteur de Juifs Maurice Papon, également préfet de police sous De Gaulle, un procès à l’occasion duquel ressortirent plusieurs pièces d’un dossier que beaucoup voulaient enterrer.
Et c’est là que se révèle la spécificité du travail et des combats d’Einaudi : non pas seulement rechercher la vérité – ce qui en soi est déjà énorme – mais aussi combattre les forces qui veulent la taire. Parmi ces forces, à côté de l’obscurantisme colonialiste officiel, a figuré un académisme bourgeois à peu près aussi détestable, incarné notamment par l’historien officiel Jean-Paul Brunet – un normalien-agrégé-docteur donnant toujours raison à la Préfecture, pour qui, naturellement, Einaudi, parce que non-professionnel et militant communiste, ne pouvait dire la vérité.
C’est justement ce non-professionnel de l’histoire, cet historien rigoureux et sérieux qui à l’évidence ne s’est pas intéressé à l’histoire dans le but de faire carrière, briguer des titres ou des honneurs, cet homme semblable plutôt aux meilleurs auteurs-militants, amis de l’humanité et de la vérité, qui sauvent l’honneur d’un champ intellectuel peuplé d’opportunistes et de larbins, cet homme semblable à ceux qui s’engagent dans le but de diffuser un savoir émancipateur et libérateur, c’est cet homme donc qu’il m’a été permis de rencontrer dans la vraie vie, loin des espaces de distinction sociale et d’élitisme snob.
Alors que j’avais lu plusieurs de ses livres, que je l’admirais et que je lui savais gré de son travail qui eut beaucoup d’importance dans ma conscientisation politique personnelle, j’ai eu la chance de le rencontrer tout à fait par hasard dans le cadre de mon travail de professeur, dans le lycée d’un quartier populaire de la banlieue parisienne.
Quelques minutes avant le conseil de discipline d’un élève brisé par le système scolaire, j’échange quelques mots avec l’éducateur : l’homme est doux, sérieux, précis, très humain. On l’interpelle : « Monsieur Einaudi.... ». Je lui demande s’il n’est pas de la famille de Jean-Luc Einaudi, le super auteur des livres que j’aime, et il me répond timidement que c’est lui.
Je le vois ce jour-là faire son travail, un travail qui est une mise en pratique concrète de ses idéaux humanistes, un travail humble, mais absolument noble. Familier des quartiers populaires et de leurs réalités sociales, Einaudi se situait aux antipodes des figures qui peuplent télévisions et autres lieux de vanités méprisables. Je ne fus pas étonné, par exemple, de le retrouver parmi les tout premiers signataires de l’appel « Oui à la laïcité non aux lois d’exception », contre l’interdiction du voile à l’école.
Après le conseil de discipline, Jean-Luc Einaudi me parla de Lisette Vincent, cette militante communiste admirable, institutrice pionnière et révolutionnaire en Algérie, membre des brigades internationales à Barcelone, résistante pendant la Seconde Mondiale, puis militante de l’indépendance algérienne, une femme héroïque tout aussi inconnue du grand public qu’il le fut lui-même, et à laquelle il consacra un livre magnifique : Un Rêve algérien.
Le penchant d’un philosophe, disait Voltaire, « n’est pas de plaindre les malheureux, c’est de les servir ». En cela, loin de tous les réactionnaires qui se revendiquent aujourd’hui du « philosophe des Lumières », Jean-Luc Einaudi figure parmi les plus valeureux tenants de cette idée de l’engagement.