Ce que nous y avons vu, nous le savons notamment par les témoignages des associations. « Bidonvillage » excentré, très, à l’écart des routes, entre le cimetière et la prison, un bourbier oui, ce terrain vague, de désolation, après les pluies. Sans aucun appoint d’eau, sans électricité, etc. Une communauté qui n’en est peut-être pas tant une, un agglomérat de familles, pas forcément arrivées en même temps, au rythme des expulsions. La défiance est perceptible, et même affirmée, à l’encontre aussi des autres campements du département. La place est chère dans ces endroits de relégation totale. Etienne me dit que ce qu’il avait vu des bidonvilles autour de Marseille il y a quarante ans ne pouvaient se comparer en horreur et de loin à la désolation absolue de ce campement de Luynes.
Cette « rencontre », à l’initiative de La Grande Famille et ouverte à d’autres comme le groupe musical Grives et ours qui était présent, propose à la communauté Rom, aux adultes, aux enfants, des animations. C’est louable, ce temps permis, aux enfants et aux adultes qui ont, peu à peu, pris part à cette envie de rencontre. Musique cette après-midi-là. Je suis venue avec des livres, dans l’idée de lire des contes aux enfants et de laisser les livres. Mais aussi avec Etienne et son micro, l’idée qu’il faut faire entendre leurs voix et à travers elles, leur compréhension de cette situation, qui est la leur et que la France leur fait vivre (les enfants regrettent l’Allemagne). Car finalement, on entend les témoignages des associations qui dénoncent, et donc nous savons. Mais il n’en reste pas moins que leurs voix, on ne les entend pas, trop peu, si ce n’est dans les psalmodies de mendicité qui hérissent la majeure partie de la population. Et je crois qu’on ne mesurait même pas avant d’arriver la nécessité absolue pour eux de dire ce qui se passe pour eux. Et l’idée aussi que de ce qui se dit d’eux dans la société civile, par exemple dans mes cours, via mes élèves, pourtant eux aussi dans une relégation sociale évidente, sur leur prétendue « asocialité » « génétique », leur « animalité » même (il faut voir les discussions sur le net sur les Roms !), la seule manière de le contrer véritablement, c’est de les faire entendre, plus encore peut-être que de témoigner.
Dimanche à 11h sur Radio Galère, Etienne nous fera entendre des enfants, des femmes et des hommes qui vivent à l’écart de nous mais qui se disent, nous disent aussi beaucoup, oui, dans ce qu’ils vivent au jour le jour. Les conditions de vie, le rôle des associations, leurs besoins et des envies qui parviennent encore à s’exprimer.
Des envies d’école, tiens, par exemple…
L’ « atelier Contes », idée fort charmante, n’a pas été mis en place dans la représentation qu’on peut en avoir, pas d’endroit « cosy », pas d’intimité possible, il faisait froid, le lien a mis du temps à s’établir, malgré des enfants papillonnant autour de nous. Mais surtout malaise, dans ce déambulement déséquilibré constamment, dans cet endroit, vraiment boueux déjà, où on se tenait pour ne pas tomber, mais surtout où se posent ces questions de notre posture réelle quand nous sommes face à ce désastre, à deux pas de chez nous ? non, « de chez nous ». Que faisons-nous là, au milieu de cette urgence ? Ne pas se laisser envahir, faire autrement que ce que nous avons prévu mais s’y tenir. Les livres, et les micros oui. Les livres ont été sortis au bout d’un moment d’errance, dehors, devant une caravane rouillée, une chaise, avec une nuée de petits et moins petits, on a parlé un peu, regardé des images, les bouquins Walt Disney les ont vraiment transportés de bonheur, Le Roi Lion, notamment pour le petit Jalosh, et si un petit livre a été retrouvé dans la boue, les autres, derechef, se sont retrouvés dans un endroit qui semble être le trésor de ces enfants. Leur cartable. Ben oui. Ces enfants parlent école. Sont scolarisés tant bien que mal à Jas de Bouffan en ce moment. Et ils nous ont parlé de l’école. Mattéï, 15 ans, le désespoir dans les yeux, à se demander ce qui lui arrive, pourquoi il est là, l’élégance vraie, qui nous a bouleversés, nous explique la difficulté de parvenir régulièrement au collège, les bus qui s’arrêtent ou pas, en fonction de la place qui reste, ou peut-être même du chauffeur du jour. Il nous parle du lever à 4h30 du matin, sans eau, sans électricité, les efforts pour être propre, « se laver les yeux, le visage » mais que c’est peine perdue dès qu’on sort de l’habitacle, la boue. Jusqu’à mi mollets souvent, on glisse. Arriver, au collège, sales est visiblement un grand problème pour ces enfants. Qui sont donc absolument comme les nôtres, se préoccupent du lien social, de leur dignité et veulent étudier ! Ils veulent s’en sortir ! Revenir à 19h au campement, marcher dans la nuit, c’est aussi difficile. Mais ils veulent l’école. Quand les adultes nous rappellent les fêtes de fin d’année et nous demandent de faire quelque chose pour les enfants, les enfants nous tirent par la manche et demandent des cahiers de texte et de la colle et des crayons.
Cela, ça nous a tapé dans la tête, comme quoi on a tous nos représentations… ils nous l’ont martelé et tant mieux ! Avec l’association La Grande Famille, on va tenter de faire un appel à collecte, rapidement, pour ces fournitures et autres. On vous dit cela vite.