Lukas se pose face à nous. Vêtu d’une belle chemise blanche. Tout son corps musclé semble au repos. Ses longs cils noirs n’arrivent pas à cacher un regard intense, comme alimenté par un brasier intérieur. Ses mains voltigent, caressent l’air. Seules deux tresses laissent deviner sa muxeidad. Sans retenu, Lukas nous parle de son enfance à Santa Teresa, petit village de l’Isthme de Tehuantepec. Son lieu de naissance aurait pu faire de lui un paysan. Ou un immigré de l’autre côté de la frontière. La vie, la chance, les rencontres, sa détermination vont en décider autrement.
Presque avec candeur, il nous livre son peu d’intérêt pour le travail des champs, la chaleur infernale qui l’anesthésiait, son ennui mortel pour les jeux de pêche avec ses frères. Lui, il préférait nager, faire des petits bonhommes de boue. Dans un rire éclatant, il nous avouera qu’au fond de lui-même, il désirait autre chose. Ses émotions esquissant un monde dont il ne devinait pas encore les contours. Les études semblaient être un moyen pour y arriver. Il s’inscrit alors en secondaire à Tehuantepec. En plus des domaines généraux, il y avait aussi des cours d’expression artistique. Et lorsque la professeure de danse demande aux élèves de faire quelques pas devant elle, Lukas esquisse les pas demandés. Il danse. Pour la première fois. Sans se douter qu’il participe à un casting, Lukas est sélectionné. Son destin est en train de basculer. Le cours étant le samedi matin, il demande à ses parents l’autorisation de se libérer de la garde des chèvres ce jour-là. Ils acceptent, et intègre El Ballet Juvenil Folclórico Nacional, encadrée par une enseignante exigeante, pour qui il garde une immense tendresse, teintée de respect. Il nous dira que c’est peut-là qu’il a eu ses premières sensations de scène. Un danseur est en train de naître. Il nous avouera « Être dans ce ballet m’a procuré du prestige auprès des autres élèves. Nous étions vus comme une élite. Sur scène, je sentais que j’étais appréciés, les gens applaudissaient, et comme j’étais le plus petit, j’étais toujours devant et les gens me voyait bien ». Lukas éclate de rire. Pour montrer qu’il ne se prend pas au sérieux.
La suite sera plus sinueuse. D’origine pauvre, il ne peut étudier où il veut et décide d’intégrer le programme national, CONAFE, qui recrute des jeunes pour devenir maître d’école dans des communautés très éloignées. La formation est très pratique et dure seulement deux mois. Il est envoyé à Santa Maria Colotepec. Là, il doit aborder à la fois la contraception, l’usage des toilettes, l’hygiène, organiser les réunions avec les parents, etc… Il avait à peine 16 ans mais il apprit très vite. Il devint adulte, presque malgré lui. Puis, il retourne aux études et intègre la Préparatoria n°4 grâce à une bourse. En parallèle, il continue la danse folklorique. Il participe à la fête de la Guelaguetza mais il comprend très vite que sa mère et sa grand-mère ne seront jamais invitées au premier rang. Que seuls les riches, les blancs peuvent y prétendre. D’une voix agacée, il nous dit « C’était la première fois que je participais à la Guelaguetza. Ce fut aussi la dernière ! ». Puis il s’essaie aux études de droit mais cela ne le passionne pas et lorsqu’il rencontre un archéologue qui travaille à Monte Alban, il décide d’intégrer le cursus d’anthropologie avec l’idée de se spécialiser en archéologie au bout de deux ans. Il part à Xalapa, dans l’état de Vera Cruz. Au gré de ces rencontres, il entre en contact avec le monde de la danse contemporaine et décide de faire la formation en simultanée avec l’anthropologie. Une double formation qui va lui demander beaucoup de temps, d’énergie mais qui va construire le Lukas Avendaño d’aujourd’hui. La chrysalide ne sait pas encore qui elle est. Elle tâtonne. Se cherche. Se consolide. S’affirme de pas de danse en pas de danse. Les mots viennent former son sens du monde.
L’autre univers de Lukas Avendaño, c’est celui des Muxes, des hommes nés biologiquement hommes mais qui assument des rôles féminins. Pour certains, l’Isthme de Tehantuepec serait un paradis pour homosexuels où les discriminations seraient moindres que dans d’autres coins du pays. Lukas bat en brèche ce cliché et préfère utiliser le terme de muxeidad. Il affirme que de lui-même, il ne se revendique jamais comme muxe, seuls les journalistes ou ceux du spectacle le nomment ainsi. Dans un demi-sourire, il dit que, pour eux, cela est plus accrocheur.
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