Une tribune pour les luttes

Syndicats : défendre les travailleurs ou défendre le système ?

Article mis en ligne le mardi 11 avril 2023

Malgré toutes les gesticulations du gouvernement, tous les travailleurs ont bien compris que le projet de Macron de retarder à 64 ans l’age de départ en retraite est une provocation honteuse et il ne faut donc pas s’étonner de la formidable vague de protestations populaires qui agitent le pays. Dans toutes les villes, des manifestations réunissant souvent des dizaines de milliers de participants déterminés se déroulent dans une ambiance bon enfant.

Ce mouvement qui impressionne par son ampleur et son énergie est un témoignage
de la puissance potentielle de la classe ouvrière. On ne peut donc que regretter
que les directions syndicales qui coordonnent et mettent en scène ces
démonstrations n’affichent qu’un seul but : le retrait du projet Macronien et le retour à la situation précédente. En effet, la force et l’énergie colossale exprimées par ces foules immenses ne tendent de ce fait que vers un seul but, placer les négociateurs des directions syndicales dans une position favorable pour qu’ils obtiennent un statu quo et que l’age de départ en retraite reste à 62 ans.

La confiance que les manifestants témoignent ainsi à leurs dirigeants syndicaux est identique à celle que les électeurs témoignent aux politiciens lorsqu’ils déposent un bulletin dans une urne : dans les deux cas, ces personnes se livrent pieds et poings liés au bon vouloir de leurs dirigeants et abandonnent la maîtrise de leur destin à des
professionnels de la négociation. Les manifestants devraient pourtant se rappeler que dans les années précédentes, les directions syndicales ont entérinées bien des reculs et que la situation des retraités s’est fortement dégradée : passage de l’age de départ de 60 à 62 ans, augmentation de la durée de cotisation, mesures diverses aboutissant à une baisse des pensions, baisse du pouvoir d’achat des retraités, etc.

Puisque les syndicats ont aujourd’hui ce pouvoir extraordinaire (que les travailleurs leur ont abandonné rappelons-le) de décider ce que sera la vieillesse de millions de personnes, il est logique de se poser la question de ce qu’ils sont et de leur rôle dans la société.
Généralement, les syndicats de salariés sont considérés comme étant les défenseurs
des droits des travailleurs ; à ce titre, ils veillent à ce que les patrons respectent les lois définissant les rapports entre entrepreneurs et salariés, à faire sanctionner par la justice les entreprises en infraction et à faire évoluer la législation dans un sens
favorable aux salariés en représentant les travailleurs dans le « dialogue social » : état, patrons, syndicats ; la négociation, la gréve, la manifestation sont leurs moyens d’action et s’inscrivent dans ce cadre clairement défini par la loi, laquelle rappelons-le est promulguée par l’état qui est au service des classes possédantes.

Ces objectifs sont exclusivement au mieux réformistes, aux pires défensifs, voire
conservateurs, et les confédérations syndicales constituent un des rouages du
système social existant. Leur fonction est de conserver et protéger l’ordre social
existant alors que l’État gère les grandes fonctions régaliennes (armée, police, etc)
et que les patrons gèrent la production de biens. Le rôle des syndicats est
absolument essentiel dans le fonctionnement du système social actuel qui est fondamentalement injuste, inégalitaire et malsain et de ce fait génère naturellement des contestations et des révoltes dans les classes exploitées.
Maintenir ces contestations, ces révoltes dans des limites acceptables par le Pouvoir sont le rôle des confédérations syndicales, mais pour y parvenir, elles doivent absolument conserver la confiance des travailleurs et c’est ce à quoi elles s’emploient en organisant une opposition « de façade », une contestation spectacle.

Il n’en n’a pas toujours été ainsi. Dans les premiers temps du mouvement ouvrier,
nombre des organes en charge de la défense des travailleurs s’affichaient clairement
révolutionnaires : ils estimaient que ce système n’était pas réformable, car ils savaient que ce qui était conquis de hautes luttes un jour était presque immédiatement repris par l’État et la classe possédante. Le seul objectif qui vaille était à leur yeux révolutionnaire : abolir l’exploitation de l’homme par l’homme et les divisions de la société en classes antagonistes, et remplacer le système économique et social existant par une société égalitaire. Toutes les actions des syndicats des origines, dans les années 1880-1910, tendaient donc à populariser par un lent travail d’éducation dans la classe ouvrière (la défense des intérêts immédiats des travailleurs est un de ces moyens) l’idée de la révolution sociale. Mais il est vrai qu’à l’époque les syndicats œuvraient en marge de la légalité, il n’y avait pas de loi les reconnaissant. Au fil des ans, l’État a compris l’intérêt pour lui d’intégrer les syndicats en leur donnant une reconnaissance légale, basée sur la représentativité. Ainsi, les syndicats ont
abandonné leur finalité révolutionnaire et ils se sont concentrés exclusivement sur
la défense des intérêts immédiats des travailleurs en affirmant pouvoir obtenir des améliorations sensibles de la condition ouvrière dans le cadre du système existant.

L’Histoire montre qu’il n’en est rien et que toutes les avancées sociales (la plupart obtenues d’ailleurs à la suite de révoltes populaires excluant les syndicats) sont en permanence remises en cause par la classe dominante. En abandonnant tout objectif révolutionnaire, les confédérations syndicales sont devenues des rouages du système en place et elles ont été considérées et traitées en conséquence. Ce n’est un secret pour personne que la majorité de leurs ressources financières vient directement
de l’État ou des entreprises, qu’elles cogèrent avec les patrons nombre d’organismes sociaux et d’institutions, qu’elles s’occupent moyennant finances de la formation professionnelle, etc. Enfin, l’État reconnaît leurs mérites en accordant à leurs dirigeants des avantages non négligeables : postes réservés pour l’accès à certaines fonctions prestigieuses, etc.

Ce sont donc ces mêmes directions syndicales qui organisent l’opposition à la réforme Macron. Comme nous l’avons dit précédemment, les organisations syndicales
sont prises entre deux injonctions en apparence contradictoires : elles doivent, pour mériter la confiance des travailleurs, répondre aux aspirations de leur base militante et donc dénoncer les injustices, les combattre ; mais en même temps, elles ne peuvent pas aller trop loin dans leur contestation, car elles doivent montrer pour mériter la confiance de l’État qu’elles contrôlent le mouvement populaire, qu’elles le maintiennent dans des limites et des formes acceptables par le Pouvoir. Or l’Histoire nous montre qu’un mouvement social, même anodin au départ, peut devenir incontrôlable et menacer l’ordre social existant. Le rôle des syndicats est ainsi aussi essentiel que délicat dans ces moments historiques, car si le mouvement social déborde les limites acceptables, l’État aura recours à la force brutale pour éviter une
révolution sociale comme il l’a fait pour casser le mouvement des Gilets Jaunes.

Cette perspective semble encore éloignée, parce qu’au vu des manifestations récentes, on note que l’immense majorité des manifestants fait confiance aux directions syndicales et n’espère rien d’autre du mouvement actuel que le maintien des règles actuelles. Mais l’avenir n’est jamais écrit et la situation peut changer sans préavis .

Article de « Anarchosyndicalisme ! »,
journal de la CNT-AIT

https://cntaittoulouse.lautre.net/spip.php?article1307

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