Une tribune pour les luttes

Une politique impossible à assumer publiquement est une politique condamnée

Article mis en ligne le mardi 25 novembre 2008

http://www.educationsansfrontieres.org/spip.php?article16660

Fatoumata la Malienne que M. Hortefeux projetait d’expulser en abandonnant en France sa petite fille de 5 ans dont elle est seule à s’occuper a été libérée samedi soir.

En France depuis 2003, mère d’une fillette née en France, cette jeune femme avait déposé plusieurs demandes de régularisations toutes rejetées. Elle travaille pourtant, a un logement, cotise, déclare ses revenus, a un compte-chèques. Sa fille, Sira est scolarisée.

Le 21 novembre, elle se présente en préfecture de Melun pour déposer une nouvelle demande de régularisation par le travail puisqu’elle a un patron qui souhaite l’embaucher. Au guichet on regarde son dossier puis l’employée s’éclipse quelques instants « pour aller consulter un collègue ». Elle revient un peu plus tard et demande à Fatoumata de se rendre au guichet n°2, une petite pièce fermée. Elle lui prend son passeport et la fait patienter. Vingt minutes plus tard, trois policiers entrent, qui lui demandent de les suivre « gentiment », sinon elle sera menottée.
Voilà ce qui se passe aujourd’hui dans certaines préfectures françaises. Pour atteindre les chiffres d’expulsions exigés par le ministre de la rafle et du drapeau, des employés en sont réduits à des pratiques que leur conscience ne peut que réprouver. Honnêtement, que peut penser de lui-même, le soir en rentrant chez lui, un employé (payé à peine au dessus du SMIC, en plus) ainsi mis en situation de dénoncer non pas des malfaiteurs ou des criminels, mais des hommes, des femmes, des parents souvent, qui travaillent et s’efforcent de survivre ou faire survivre les leurs, ici ou au pays. Les employés (comme les policiers d’ailleurs qui eux aussi sont, dans ce genre de situation, amenés à des gestes dont ils ne peuvent pas être fiers) ont des syndicats. Qui doivent défendre leurs intérêts matériels et moraux. Revendiquer de n’être pas contraint à des gestes qui agressent les consciences ne fait-il pas partie de l’intérêt moral des personnels ?

Conduite au CRA de Plaisir (le seul dans la région parisienne à pouvoir accueillir des enfants… un hasard ?) elle est informée le samedi 22 avril dans la matinée qu’elle sera traduite devant le juge de libertés et de la rétention de Versailles le 23 novembre au matin et que son expulsion est prévue dans l’après-midi. Et son enfant ? Pas de réponse.

Pourtant, dans le même temps, la mobilisation se met en place. Dans l’école de Sira l’indignation est grande. Les pétitions circulent. Sira est en principe dans un lieu « sûr », c’est-à-dire, pour parler clair protégée de la police ! Cela n’interroge-t-il personne, ministres, préfets, syndicats de policiers qu’il faille, en France, en 2008, protéger une enfant de 5 ans de la police ? Son avocat et l’institutrice de Sira rendent visite à Fatoumata. Un communiqué dénonçant l’infamie qui se prépare est envoyé à la presse mais aussi aux 30 000 inscrits sur la liste de diffusion resf.info chez rezo.net. Impossible de faire ses petites crasses entre soi, la médiatisation est inévitable… Le sens de l’humain revient au ministre et à son cabinet puis au préfet… à 22 heures, la police annonce à Fatoumata qu’elle est libre. Libre, certes, mais à Plaisir, en pleine nuit bien froide, sans moyen de transport. C’est ce que M. Hortefeux appelle une politique juste… Heureusement, pour Fatoumata toute la population n’est pas à l’image des ministres. Une voiture part la récupérer. Fatoumata quitte le CRA à 23 heures, à minuit, elle retrouve sa sœur.

Le lendemain, dimanche 23, à 9 heures du matin, belle manifestation de solidarité : une trentaine de personnes venues de Seine-et-Marne mais aussi des départements voisins se retrouvent au TGI de Versailles pour le cas où l’audience du Juge des libertés serait maintenue. Elle ne l’est pas. France 3 et Le Parisien sont là. Fatoumata est donc libre… Il ne reste plus au préfet de Seine et Marne qu’à la régulariser. Il a jugé impossible de l’expulser, elle doit avoir des papiers pour rester.

Il reste qu’en moins d’une semaine M. Hortefeux a dû renoncer par trois fois à des mesures inhumaines. Ce n’est pas l’effet de sa conscience. La preuve en est que quand la pression a été insuffisante ou trop tardive, les horreurs ont été exécutées : samedi matin une famille Kosovare, les parents et les quatre enfants (10 ans, 8 ans, 4 ans et 16 mois) ont été expulsés. Ils ont été chargés dans le fourgon cellulaire volant privé du ministère et expulsé sous les yeux de leurs amis et soutiens regroupés au bord de la piste d’Hendaye. Mais, à l’inverse quand l’opinion se cabre, quand elle découvre la réalité de ce qui se produit quotidiennement dans les commissariats, les préfectures et les centres de rétention, le ministre est contraint d’en rabattre, précipitamment. Il a ainsi dû déclarer forfait lundi dans sa participation au charter prévu de longue date pour ramener plusieurs dizaines de réfugiés Afghan vers leur pacifique pays. Mardi, il annonçait régulariser Victorine, Camerounaise que ses services entendaient priver de titre de séjour suite au décès de son enfant Français. Enfin samedi il renonçait à expulser Fatoumata en laissant sa fillette en France.

Ces concessions ont été arrachées parce que les faits ont été mis en lumière. Mais que dire d’une politique qui ne peut être appliquée que si la population l’ignore ? Si on en cache soigneusement les conséquences réelles et concrètes en la couvrant de termes grandiloquents et creux comme ceux de « ferme, juste et équilibré » dont se repaît le ministre. La population condamne cette politique, les milliers de gestes de solidarité à l’égard des familles sans papiers, des jeunes sans papiers scolarisés, des couples mixtes persécutés, des travailleurs que réclament leurs patrons en témoignent. Cette politique doit être changée.

Contact sur ce dossier : Richard Moyon 06 12 17 63 81

mardi 25 novembre 2008.

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