Une tribune pour les luttes

Une lettre de Frédéric DUTOIT

invitation aux premières « Rencontres des arts et de la culture »

Article mis en ligne le dimanche 16 mai 2004

Frédéric DUTOIT
Député des Bouches-du-Rhône
Membre de la mission d’information de l’Assemblée nationale sur les métiers artistiques
Maire des 15ème et 16ème arrondissements de Marseille

Marseille, le 3 mai 2004

Objet : invitation aux premières « Rencontres des arts et de la culture »

Madame, monsieur,

L’avenir de la culture en France me préoccupe, comme le devenir de l’exception culturelle française m’interpelle. A maintes reprises, à l’Assemblée Nationale notamment, j’ai dénoncé les glissements d’une société de civilisation vers une société de comptes d’exploitation, à l’instar des mécanismes propres aux Etats-Unis, à l’instar d’une gestion entrepreneuriale de la culture.

L’exemple des intermittents du spectacle est révélateur. A mes yeux, l’enjeu de ce dossier consiste à la fois à pérenniser un dispositif indispensable à l’offre culturelle française - dispositif qui pourrait servir d’exemple pour une nouvelle conception de la rémunération du travail - et à le débarrasser de quelques excès dont les auteurs sont le plus souvent certains employeurs peu scrupuleux.

Si l’avenir de la culture m’inquiète, je pense qu’il ne s’annonce pas forcément morose, sous réserve de ne pas l’abandonner à la réflexion exclusive d’une « élite » fusse-t-elle bien intentionnée.

Partout en France, des artistes, des compagnies, des élus, des amis des arts et de la culture s’interrogent. Comment assurer une action culturelle de qualité à plus ou moins brèves échéances ? Comment repositionner le rôle régulateur de l’Etat dans une France où le gouvernement désengage financièrement la Nation de ses devoirs et se désolidarise des collectivités locales conviées à augmenter le montant des prélèvements sur les contribuables ? Comment également libérer les artistes du tête-à-tête avec les collectivités locales, les préserver de toutes les velléités clientélistes d’ici ou de là ?

Dans le même temps, il convient d’avoir l’esprit toujours éveillé, d’éviter les visions dogmatiques et les attentismes, de bannir les idées préconçues, de s’ouvrir à des idées neuves sans a priori, d’inventorier de nouvelles expériences et, plus généralement, de donner conjointement la parole aux artistes, aux publics, aux pouvoirs publics.

C’est le sens des premières « Rencontres des arts et de la culture » auxquelles je vous propose de participer le vendredi 4 juin 2004, de 17h à 22h, à la mairie des 15ème et 16ème arrondissements de Marseille, 246 rue de Lyon 13015 Marseille. Le thème retenu sera : « Réinventer une ambition culturelle et ses modes de financement : question taboue ou vraie audace ? ». J’ai sollicité Serge REGOURD, professeur à l’Université des sciences sociales à Toulouse, auteur de « L’exception culturelle », animateur des Etats généraux de la culture au côté de Jack RALITE, pour lancer le débat qui sera animé par Jean-Jacques BAREY, directeur de la revue « Traversières ».

J’ai le sentiment qu’une pause réflexion sera la bienvenue pour parfaire une implication citoyenne en faveur d’une action culturelle revisitée dans un pays où les pratiques culturelles sont trop souvent dépendantes des appartenances sociales. La France a, jusqu’à présent, certes avec plus ou moins d’enthousiasme, perpétué une tradition de soutien à la création et de régulation héritée de l’Ancien Régime et de la Révolution française et actualisée par le ministre André Malraux à partir du 22 juillet 1959 ; elle est d’ailleurs, à ma connaissance, l’un des rares pays occidentaux à disposer aujourd’hui d’un ministère de la Culture.

Il est regrettable que la défense de ce patrimoine des arts et de la culture, facteur de cohésion nationale, d’émancipation et d’identification, ne soit pas priorisée par l’action des pouvoirs publics souvent plus enclins à œuvrer en faveur de la marchandisation de la culture.

Si je combats cette dérive dangereuse, je considère qu’un financement audacieux et repensé de la culture par l’Etat doit s’accompagner d’une réflexion ouverte sur d’autres types de financement complémentaire, au-delà des subventions accordées par les collectivités territoriales et locales. Le projet artistique, l’artiste et le spectateur ne doivent pas dépendre du seul bon vouloir ou des seules capacités financières desdites collectivités territoriales et locales. De nouveaux partenariats ne pourraient-ils pas être étudiés et expérimentés, à la condition expresse qu’ils ne soient pas inféodés à des critères libéraux de rentabilité financière ?

Sur le fond, j’ai l’impression que le financement de la culture - je parle ici d’une politique volontariste - est un sujet de moins en moins tabou. Les langues se délient avec plus de facilité, des idées sont exprimées, des concepts plus ou moins inédits sont avancés. Je pense que proposer en un même lieu l’expression des questionnements nouveaux et de réflexions ouvertes sera un gage de qualité.

Favoriser un bouillonnement d’idées à Marseille - tout particulièrement dans ses Quartiers nord où les artistes ont déjà l’habitude de réfléchir en réseau - facilitera un décloisonnement de ces mêmes questionnements et réflexions, un meilleur partage des informations et des opinions sur les nouveaux chemins à explorer. Des voies sont suggérées, ici ou là, certes avec prudence, pour envisager de sortir des impasses. Toutes méritent d’être analysées, soumises à la critique bien évidemment constructive, progressiste.

Je défends l’idée que la suprématie d’un financement public est capitale pour garantir l’intérêt général, préserver une activité culturelle libre, indépendante des intérêts privés. Dans le même temps, je souhaite que soient étudiées de nouvelles pistes pour sauver l’exception culturelle française.

Cette réflexion prospective sera, j’en suis persuadé, bénéfique à toutes les expressions des arts et de la culture. Elle servira l’action publique et contribuera à mieux appréhender l’émergence de nouveaux partenariats.

Dans l’attente de vous rencontrer, je vous prie de croire, madame, monsieur, en l’expression de mes sentiments les meilleurs

Frédéric DUTOIT

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