5 juillet 2013
Mediapart et Le Point viennent d’être condamnés par la Cour d’appel de Versailles. Ils doivent retirer de leurs sites, sous huit jours, « toute publication de tout ou partie de la retranscription des enregistrements illicites réalisés au domicile de Liliane Bettencourt ». Sous peine de devoir payer 10 000 euros par jour de retard, et par infraction constatée. Cette diffusion, estime la Cour d’appel dans son arrêt du 4 juillet 2013, est une atteinte à la vie privée de la milliardaire.
Une décision qui concerne « un millier d’articles, près de deux mille billets de blogs, des dizaines de milliers de commentaires », rappelle François Bonnet, directeur éditorial de Mediapart. Car chaque phrase ou brève citation de ces enregistrements sont désormais interdites. « Faudra-t-il aller relire un par un les presque 2 millions de commentaires postés sur Mediapart ? », s’interroge le journaliste, qui fait le calcul : avec l’ensemble des articles et billets de blogs actuellement en ligne sur l’affaire Bettencourt, Mediapart serait condamné à verser 752 millions d’euros par mois !
Une telle décision constitue une « atteinte insupportable au droit de l’information, une lecture ahurissante de la convention européenne des droits de l’homme, un coup de gomme stalinien effaçant l’un des événements les plus importants du quinquennat Sarkozy », estime François Bonnet. Il s’agit d’effacer « ce qui est devenu une page d’histoire de ce pays : comment la femme la plus riche de France, à la tête d’un des plus grands groupes mondiaux, fraudait le fisc, dissimulait ses avoirs, négociait avec le pouvoir politique, celui-ci faisant pression sur la justice ». La Cour d’appel a tranché : les médias sont sommés de ne pas en parler. Et les lecteurs de ne pas en débattre.
La décision de la Cour d’appel ne sera effective qu’après exécution de l’arrêt par le plaignant. Raison pour laquelle Mediapart demande à madame Bettencourt et son tuteur de ne pas procéder à cette exécution. Le site prévoit aussi un pourvoi en cassation (mais celui-ci ne suspend pas la décision, qui devra être mise en œuvre en attendant le résultat du pourvoi).
« Sale temps pour les lanceurs d’alerte », titre Mediapart, qui rappelle que les révélations sur la fraude fiscale de Liliane Bettencourt ont notamment permis aux pouvoirs publics d’opérer un redressement fiscal qui dépasse les 100 millions d’euros. Les enregistrements de l’Affaire Bettencourt sont d’ores et déjà disponibles sur d’autres sites, et plusieurs médias ont annoncé qu’ils publieraient les enregistrements si Mediapart est contraint de les retirer de son site.
http://www.bastamag.net/article3181.html
Communiqué LDH du 5 juillet 2013
Paris, le 5 juillet 2013
Censure des enregistrements effectués dans l’affaire Bettencourt, une atteinte à la liberté de la presse
Veut-on revenir aux temps obscurs de la censure ? D’allure baroque, la question doit pourtant être posée après l’arrêt de la cour d’appel de Versailles, rendu le 4 juillet, qui ordonne à Mediapart et Le Point de supprimer de leurs sites, dans les huit jours, toute citation des enregistrements effectués par le majordome de madame Bettencourt. L’arrêt va jusqu’à interdire qu’ils soient mentionnés.
On se souvient que ce sont ces révélations qui ont été à la source d’une enquête journalistique éclairante sur les rapports entre le monde de l’argent et de la politique. L’arrêt de la cour d’appel, censurant de fait l’information, est un coup porté aux titres de presse Mediapart et Le Point, et à la liberté de la presse d’une façon générale.
Au moment où la ministre de la Justice dépose un projet de loi qui affirme que « les journalistes doivent pouvoir exercer leur mission sans entraves », cette décision est rien moins qu’inquiétante ; au lendemain du refus de la France d’accorder l’asile à Edward Snowden, elle rappelle à quel point la liberté d’informer et d’être informé, en toute liberté, reste fragile.
La Ligue des droits de l’Homme exprime sa solidarité avec Mediapart et Le Point ; elle appelle à une grande vigilance pour défendre la liberté de la presse, facteur incontournable de la démocratie.