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Médecin du monde

Marseille : L’eau, un droit accordé au compte-gouttes

Par Cendrine Labaume, Coordinatrice générale MdM à Marseille, et Philippe Rodier, délégué régional MdM à Marseille.

Article mis en ligne le jeudi 26 septembre 2013

http://www.medecinsdumonde.org/Presse/Tribunes/L-eau-un-droit-accorde-au-compte-gouttes

Tribune
L’eau, un droit accordé au compte-gouttes

Hépatite A, impétigo, saturnisme. Dans ce bidonville du bout du monde, les pathologies de la misère explosent. L’eau potable est achetée en bouteille, et pour l’eau de cuisine ou l’hygiène, les bidons ont fait leur réapparition. Hors du bidonville, les personnes sans domicile fixe peuvent errer longtemps avant de satisfaire un besoin naturel ou boire de l’eau.Dans cette ville, il n’y a ni toilettes publiques, ni bains douches, et les fontaines, quand elles ne sont pas cassées, se comptent sur les doigts de la main et plutôt dans les quartiers privilégiés que dans les quartiers pauvres. Cette ville, c’est Marseille.

Pourtant, la ville a accueilli le 6 ème forum mondial de l’eau en 2012 ; forum au terme duquel 130 pays se sont engagés à accélérer la mise en œuvre du droit universel de l’accès à l’eau potable et à l’assainissement, droit déjà reconnu par l’ONU en juillet 2010. En France, la loi sur l’eau et les milieux aquatiques du 30 décembre 2006 a consacré dans son article premier, l’existence d’un droit à l’eau pour tous tandis que l’assemblée nationale avait proclamé « la période 2005-2015 : décennie internationale d’action, l’eau, source de vie’. » L’objectif étant de permettre à tous, personnes rencontrant des difficultés pour payer leur facture d’eau ou sans-abris, d’accéder à l’eau potable.

En France, un ‘guide des élus’, édité en mars 2012 par le ministère de l’écologie et du développement durable, récence les initiatives intéressantes. Ainsi, à Hyères, la mairie a engagé une démarche de réouverture des bornes fontaines en centre-ville afin d’offrir l’eau potable à tous. A Paris, une convention d’abonnement exceptionnel permet de maintenir l’eau des occupants ‘sans droits ni titre’ sous réserve d’absence de péril. A Lyon, l’accès aux bains-douches municipaux permet à ceux qui ne disposent pas de sanitaires de faire leur toilette.

La solution n’est donc pas dans l’adoption de nouveaux textes de loi : ceux-ci existent. Elle n’est pas non plus technique ou financière : des solutions pragmatiques simples comme l’installation des bornes fontaines, non seulement peu coûteuses mais bel et bien rentables en termes de santé publique, existent et sont mises en application ailleurs.

La situation marseillaise résulte essentiellement d’une absence de volonté politique. L’arrêté anti-mendicité émis en 2011 et réédité en 2012 avait pour ambition de chasser les pauvres hors de la ville à l’heure où Marseille allait s’affirmer comme ‘capitale européenne de la culture’. Proposer l’eau potable en accès libre ou des bains-douches municipaux dans l’esprit des élus locaux reviendrait à tolérer les pauvres, voire à encourager leur venue. Pour rappel, le nombre de sans domicile fixe à Marseille était estimé à 12 000 personnes en 2011 selon une étude réalisée par la FNARS.

Ainsi, la lutte contre les pauvres emprunte dans cette ville des chemins divers : expulsions systématiques des bidonvilles ou absence d’eau potable accessible à tous. Au final, il s’agit de la même stratégie à court terme qui n’est pas de lutter contre la pauvreté mais de lutter contre les pauvres en les décourageant d’être là et ce, au mépris des droits les plus fondamentaux.

C’est une stratégie inefficace puisqu’elle ne contribue pas à résoudre le problème mais à le déplacer. C’est aussi une stratégie coûteuse en termes de paix sociale : les riverains d’un bidonville sans accès à l’eau ni ramassage des ordures peuvent légitimement se plaindre du manque d’hygiène et incriminer pour cela ses habitants.

C’est enfin une stratégie coûteuse en termes de santé publique : pathologies dermatologiques ou infectieuses peuvent librement se développer dans un environnement aussi favorable et en période caniculaire de surcroît. A Marseille, une flambée d’hépatite A a ainsi éclaté chez les précaires cet été. Sachant que le prix d’un passage aux urgences a été estimé en 2006 par la cour des Comptes à 260 euros, est-il plus rentable d’installer des bornes fontaines ou d’attendre que les épidémies flambent ?

Ainsi, dans la deuxième ville de France, la corvée d’eau a fait sa réapparition et Médecins du Monde, répondant à des urgences pourtant fortement prévisibles, organise des campagnes de vaccination et distribue bidons d’eau et douches solaires.

Préfecture, Mairie, Société des Eaux de Marseille et la Communauté Urbaine Marseille Provence Métropole ont tous été interpellés en vain sur l’application effective –et urgente en période caniculaire, de ce droit à l’eau et sur ses répercussions en termes de santé publique. En vain. Le législateur peut continuer d’écrire de belles lois et les élus locaux, s’empresser de ne pas les appliquer, au détriment d’une réalité sociale dégradante, celle de la capitale européenne de la culture 2013 : Marseille.

septembre 2013

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