Une tribune pour les luttes

Extrait de la revue Courant Alternatif n° 244

Menaces générales sur les associations

L’exemple du Planning familial dans les Bouches-du-Rhône

Article mis en ligne le vendredi 28 novembre 2014

Pour la deuxième fois en quelques années, le Planning familial des Bouches­du­Rhône (PF13) [1] se retrouve en grande difficulté.
Après une fermeture au public de ses locaux fin 2008, une journée de grève sous la neige et diverses autres mobilisations, c’est finalement à l’automne 2011 que le PF13 inaugure dans le 3e arrondissement de Marseille ses nouveaux locaux. Pourtant, le Planning n’en a pas fini avec les galères, et il tire à nouveau la
sonnette d’alarme au printemps 2014 alors qu’il y a un risque de cessation de paiement en 2015 et une menace de fermeture à la clé.
Les causes de cette situation sont multiples : baisse de certaines subventions, arrêt des emplois aidés (ceux­ci étant pérennisés), déficit historique des permanences, engraissement des banques (découverts, cession Dailly...) pour pallier les règlements tardifs de certaines subventions, hausse des charges (loyer, impôts...), report d’actions 2013 renvoyées à 2014, équipe de gestion trop petite vu l’augmentation exponentielle des dossiers à traiter.
Le PF13, association féministe et d’éducation populaire qui a opté depuis longtemps pour le salariat et la reconnaissance des compétences et du travail des femmes qui y sont investies, est un des plus grands Plannings [2] de l’Hexagone. Il compte une trentaine de salarié∙e∙s, et rencontre 18 000 personnes environ par an, notamment sur les thématiques suivantes : éducation à la sexualité, lutte contre les discriminations, prévention précoce, promotion de la santé sexuelle y compris défense du droit à l’avortement, accès à la contraception pour toutes et tous.

Depuis le début de l’année 2014, mobilisations et réunions se succèdent à un rythme élevé :

  1. partage des informations avec l’ensemble des salarié∙e∙s et du conseil d’administration ;
  2. lettre restée sans réponse à la ministre des Droits des femmes (Vallaud­Belkacem à l’époque) qui était venue visiter le PF13 un an auparavant ;
  3. cortège dans la manif du 1er Mai derrière une banderole « Planning familial 13 en danger.
  4. Licenciements en cours... fermeture en 2015 ? Femmes en colère » ;
  5. courrier à l’ensemble des financeurs ;
  6. mise en place d’un DLA (dispositif local d’accompagnement pour les associations en difficulté) ;
  7. table ­ronde avec l’ensemble des financeurs et rendez­vous bilatéraux avec les principaux (région, conseil général, Agence régionale de santé, politique de la ville, Etat...) ;
  8. fermeture exceptionnelle pendant quinze jours durant l’été – une période traditionnellement compliquée, notamment concernant l’accès à l’IVG – et diffusion d’un tract « C’est la crise, les femmes trinquent... au Planning aussi ! Le Planning familial en vacances forcées ». Cette fermeture a suscité un intérêt important de la presse, pour le meilleur (« Interruption involontaire au Planning familial » dans Le Ravi [3] de juillet ­août) et pour le pire... ;
  9. appel à mobilisation des personnes qui fréquentent le Planning sur le thème « Ne laissons pas couler le Planning familial ! ».

Sans attendre les résultats des rencontres avec les financeurs, le Planning est contraint de prendre des premières mesures : gel des salaires, non ­remplacement de certains départs volontaires, fermeture de permanences peu fréquentées, etc. Le PF13, s’il veut éviter la fermeture en 2015, ne peut connaître une année 2014 financièrement déficitaire comme en 2013.
À l’heure où cet article est rédigé, le danger principal semble écarté puisque certains partenaires se sont engagés à répondre positivement à une demande d’aide exceptionnelle [4] qui permettra au Planning de terminer l’année 2014 à l’équilibre et de ne pas procéder à des licenciements.
Cela étant, plusieurs départs n’ont pas été remplacés, ce qui va se traduire par une augmentation des activités à réaliser pour les personnes restantes, d’où un risque de détérioration des conditions de travail dans le même temps où le nombre de personnes accueillies dans les locaux augmente. Et puis le combat pour revaloriser certaines actions sous­-financées par l’État n’est pas fini. Ainsi, celui­-ci verse 8 euros par heure de permanence d’accueil réalisée. Ce montant date du temps où ces permanences étaient faites bénévolement ! Le tout dans un contexte où les aides au fonctionnement n’existent pratiquement plus, il n’y a plus que des aides à projet. A budget constant, il faut multiplier les dossiers de subventions (pas moins de 65 pour le PF13 !), réécrire ceux-­ci plusieurs fois pour qu’ils rentrent dans les arcanes administratifs, rédiger les bilans qualitatifs et quantitatifs sans oublier de pondre des bilans intermédiaires.

Le pire est à venir pour les associations

Mais le PF13 n’est pas le seul à connaître des galères, d’autres Plannings en subissent aussi. Un sondage interne réalisé cet été à la suite d’une demande de la ministre relevait que sur la moitié des associations départementales (AD) [5] qui y avaient répondu, 40 % avaient des difficultés, plusieurs AD ayant dû procéder à des licenciements.
En fait, l’ensemble du mouvement associatif est touché depuis quelques années. En fonction du secteur dans lequel elles exercent (santé, culture, insertion, sport, etc.) et de leur taille, les tuiles n’arrivent pas au même moment, mais des dizaines de milliers d’associations sont concernées par les politiques d’austérité que mènent l’État et les collectivités. Dans les Bouches-­du­-Rhône, il ne se passe pas une semaine sans qu’on apprenne le nom d’une nouvelle structure en difficulté.
Le Collectif des associations citoyennes (CAC) [6], notamment à l’initiative de la campagne « Non à la disparition des associations ! », avait déjà évoqué fin 2013 un plan social invisible de 30 000 à 40 000 suppressions d’emplois qui frapperait le secteur associatif en 2014 [7]. Par rapport au projet gouvernemental de pacte de responsabilité pour la période 2015­2017, le CAC estime que plus de 200 000
emplois sont menacés, soit 15 % des salarié∙e∙s de ce secteur [8] !
Pour de nombreuses associations, les réductions des financements étatiques ont commencé entre 2010 et 2012, mais l’aspect réaction en chaîne avec les collectivités et les organismes sociaux (assurance maladie, CAF) qui se désengagent en suivant – tel subventionneur s’engageant à condition que tel autre
s’engage à la même hauteur – fait que le gros des effets peut se faire sentir dans les années à venir.
Dans le discours officiel, tout le monde doit se serrer la ceinture, mais en réalité des choix politiques sont faits même si les collectivités ne peuvent se substituer financièrement à l’État. Un exemple local de choix : la rénovation du stade Vélodrome, qui a coûté près de 300 millions d’euros, a été financée à hauteur de
67 % par la Ville de Marseille et à 33 % par le conseil général, la métropole, la région et l’État. Dans le même temps, la mairie ne met que des clopinettes pour accompagner la réforme des rythmes scolaires...
L’impact de ces réductions est très variable, selon la part des financements publics dans le budget des associations. Celle­-ci peut aller de 20 % à plus de 80 %. Les secteurs des sports, des loisirs, de la culture, de la défense des droits étant plutôt en bas de l’échelle, et l’action sociale, la santé, l’action humanitaire et le développement local se trouvant en haut. Le modèle économique du PF13 repose sur 80 % de subventions publiques.
En moyenne, ces financements constituent la moitié des ressources des associations. Les collectivités représentent 57 % des financements publics, l’État 22% et les organismes sociaux 14 %.

Quelques chiffres :
On compte 1 135 000 petites structures avec 0 salariéEs
Les structures moyennes, allant de 1 à 10 salariéEs chacune, totalisent 300 000 salariéEs pour un nombre total de 128 000 associations,
Quant aux grandes structures de plus de 10 salariéEs chacune, elles sont au nombre de 37 000 totalisant 1 479 000 salariéEs.

La Conférence permanente des coordinations associatives (CPCA), qui vient de se renommer en toute modestie « Le Mouvement associatif », dresse un bilan moins sombre que le CAC – un regroupement plus récent et plus revendicatif que la CPCA –, mais reconnaît elle aussi que ce sont les associations du secteur sanitaire et social qui morflent le plus en ce moment.
Une autre variable majeure, c’est la question du salariat. Si 86 % des associations ne fonctionnent qu’avec des bénévoles, les autres emploient 1,8 million de personnes. Pour le PF13, la « masse salariale » représente 61 % du budget global.

Les associations le plus en danger sont celles de taille moyenne. Elles sont en effet nettement plus tributaires de la baisse d’un seul financeur, disposant de financements moins diversifiés que les structures plus grosses. Selon le CAC, ce type d’associations est le moins à même de s’adapter au marché en répondant aux appels d’offres qui se généralisent.
Capitalisme et loi 1901 peuvent­-ils faire bon ménage ?
Les associations n’ont en effet pas d’autres choix que de diversifier leurs financements et d’augmenter la part hors subvention en déposant des demandes auprès de l’Europe, en se tournant vers des financements privés (fondations, mécénat d’entreprise...) ou en augmentant leurs fonds propres (actions de formation...).
La baisse des financements et la course aux projets entraînent un risque accru de concurrence. Par exemple, les bouleversements de la lutte contre le VIH ­sida (accès accru aux traitements, baisse du nombre de nouvelles infections, relâchement concernant les comportements de prévention) entraînent une baisse des financements et incitent les associations à développer des thématiques sur lesquelles d’autres associations sont déjà présentes.
Avec le désengagement des services publics, les associations ont vite fait de devenir des supplétifs des collectivités. Et quand l’association coûte « trop cher », on lui met la pression pour qu’elle diminue ses coûts, qu’elle embauche via des contrats précaires.
L’arnaque du moment, c’est de bosser trois heures par semaine dans le cadre de la réforme des temps scolaires en répondant à l’annonce suivante : « Association, étudiant, retraité, parent au foyer, artiste, enseignant, demandeur d’emploi... Envie de compléter vos revenus ? ». Histoire de ne pas être trop en dehors des clous par rapport au droit du travail, les personnes intéressées signent un papier comme quoi
elles ne peuvent pas faire plus d’heures parce que par ailleurs elles étudient, s’occupent d’un parent malade, etc.
Une autre évolution capitaliste du secteur associatif, c’est la concentration. Elle peut venir des associations elles­mêmes, pour répondre plus efficacement aux appels d’offres face au secteur privé. Elle peut aussi être imposée par les financeurs aux petites structures sous couvert de réorganisation, avec des discours du genre : on tient à vous prévenir qu’on arrêtera de vous financer l’année prochaine à moins que
vous ne vous rapprochiez d’une autre structure (plus grosse, évidemment).
Si le groupe SOS, qui s’appelait SOS Drogue international à sa création dans les années 80, n’est pas une association, ce n’en est pas moins un bel exemple d’« entreprise sociale » qui grossit d’année en année en diversifiant à n’en plus finir ses activités et en absorbant de nombreuses petites structures associatives. Elle comptait 2 700 salarié∙e∙s en 2009 et en a 12 000 en 2014 ! [9]

Par ailleurs, les plus gros financeurs peuvent pousser l’ingérence jusqu’à exiger le départ d’un∙e directeur-rice et la nomination d’une personne de leur choix ou la baisse générale des salaires.
La réponse toute faite du pouvoir par rapport aux licenciements dans les associations, c’est qu’il n’y a qu’à demander une participation financière des usager∙ère∙s – facile, en temps de crise... – ou mettre des bénévoles à leur place – en attendant d’obliger des personnes au RSA à faire leur devoir citoyen quelques
heures par mois ?...
Pour remédier à son désengagement, l’État aurait peut-­être trouvé la solution miracle : accommoder les partenariats public­-privé (PPP) à la sauce associative.

Il s’agirait de faire financer le programme d’une association par un investisseur privé, puis de le rembourser, avec taux d’intérêt, par les pouvoirs publics si l’association a atteint les objectifs sociaux qui lui sont définis. Dans le cas contraire, l’investisseur perd toute ou partie de son argent. On imagine facilement que le projet et les valeurs portés par une association ne feront pas le poids face à la logique capitaliste de cet investisseur potentiel.
Même si les associations ne vivent pas en dehors du système marchand dans lequel elles agissent, on ne peut que s’inquiéter de l’immixtion de plus en plus grande des critères de rentabilité et de productivité dans leur fonctionnement.
La réforme territoriale en cours, et notamment la suppression de la clause de compétence générale qui permettait aux collectivités de financer des initiatives dans des domaines de compétences au-­delà de celles qui lui sont attribuées de plein droit, ne va probablement pas aller dans le bon sens.
De nombreuses associations peuvent être source de créativité, de lien social, de discours et pratiques critiques. Cela sera­-t­-il encore possible à l’avenir ?

Les associations sont sans doute de plus en plus à la croisée des chemins à naviguer ou à faire le grand écart entre engagement militant, gestion de la misère, rôle de contre-­pouvoir, prestation de services, fonction de pompier social au service des pouvoirs en place.

Marseille, octobre 2014
Article paru dans Courant alternatif n°244, octobre 2014, http://oclibertaire.free.fr/

[1] Planning familial 13, 106 bd National, 13003 Marseille, www.leplanning13.org.
[2] La confusion est fréquente entre les Plannings familiaux associatifs, qui peuvent gérer des centres de planification (CPEF), et les CPEF qui dépendent de la fonction publique hospitalière ou des conseils généraux.
[3] Mensuel critique régional : www.leravi.org/spip.php?article1850.
[4] Le PF13 a demandé 50 000 euros, ce qui était le déficit envisagé en 2014 pour un budget de 1,3 million d’euros.
[5] Le Planning familial – www.planning­familial.org – est une confédération qui comprend 76 AD dans l’Hexagone et dans les régions d’outre­mer.
[6] Collectif des associations citoyennes, 108 rue Saint­Maur, 75011 Paris, www.associations­citoyennes.net.
[7] Voir l’article paru sur bastamag.net en novembre 2013.
[8] Une partie importante des informations présentes dans ce texte sont extraites d’un document réalisé par le CAC :
« Estimation de l’incidence des restrictions budgétaires sur les associations ».
[9] Une vaste enquête sur le groupe SOS reste à faire, tant l’étendue de ses ramifications et ses pratiques immobilières et managériales questionnent, et alors que l’entreprise est championne dans la communication hagiographique. On peut déjà prendre connaissance des trois articles critiques parus à ce sujet en 2011 sur le site http://owni.fr.
[10] Voir l’article de Sophie Chapelle paru sur bastamag.net en septembre 2014, « Austérité : plus de 200 000 emplois pourraient être détruits dans le secteur associatif d’ici 2017 ».

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