France Travail est une nouvelle étape de l’Objectif plein emploi du gouvernement visant à saturer le marché du travail pour faire pression sur les salaires et fournir les employeurs en salarié·es précaires. Cette nouvelle étape passe par trois processus essentiels : subordination au patronat, privatisation de l’accompagnement, criminalisation des chômeurs et chômeuses.
Le Medef en rêvait, Emmanuel Macron l’a fait : le service public accomplit une nouvelle mue pour se mettre au service exclusif du patronat. France Travail est l’aboutissement d’une réflexion commencée en 2022, dans la foulée du nouveau quinquennat Macron. On se rappelle que déjà à l’époque, la CFDT, le syndicat préféré des patrons, saluait la volonté et le projet du gouvernement. Un rapport de préfiguration est rendu public en avril 2023 et un projet de loi « pour le plein-emploi » était ensuite soumis aux parlementaires pour être finalement adopté le 14 novembre.
Saturer le marché en salarié·es précaires
Le tout consiste principalement en un nouvel habillage des acteurs existants : une gouvernance mixte entre l’État, les partenaires sociaux et les collectivités régionales et départementales, les opérateurs avec Pôle emploi qui devient France Travail, France Travail jeunes (ex-missions locales) et France Travail handicap (ex-Cap emploi) et les partenaires qui rassemblent les opérateurs privés et publics, organismes paritaires et associations.
Mais il est nécessaire de rappeler que France Travail s’inscrit plus globalement dans l’« Objectif plein emploi » du gouvernement, formalisé lui aussi en septembre 2022 qui réunit les différentes réformes de l’assurance chômage, des retraites, de Pôle emploi, de l’apprentissage et de l’accompagnement des allocataires du RSA. On comprend mieux la cohérence interne du projet : remettre au travail tout ce beau monde en cassant les conquêtes sociales et en fournissant le patronat selon ses besoins. L’Objectif plein emploi est de saturer le marché du travail en salarié·es précarisé·es. La priorité concerne les secteurs dits en tension, ceux sur lesquels il existe une demande non pourvue de la part des employeurs.
En saturant ces secteurs et en mettant en concurrence les salarié·es, les chômeur·ses non indemnisé·es, des élèves en apprentissage et des seniors privés de leur retraite, on organise le sabotage de négociations salariales qu’aurait permis la pénurie de main-d’œuvre ! Car ses secteurs – bâtiment, restauration, manutention, service à la personne, etc. – offrent quasi systématiquement des conditions salariales et de travail particulièrement mauvaises. L’Objectif plein emploi revient donc à précariser le travail, les salarié·es et les chômeur·ses pour imposer n’importe quel emploi à n’importe quelles conditions dans l’intérêt exclusif des patrons. Dans ce cadre, France Travail devient la matraque de la politique ultralibérale permettant de faire taire les justes revendications salariales et syndicales.
Un autre objectif concomitant est de privatiser l’accompagnement des chômeur·ses. C’est une vieille lubie des gouvernements de gauche comme de droite : confier l’accompagnement des chômeur·ses « proches de l’emploi » à des organismes privés et garder un accompagnement public pour les chômeur·ses « les plus éloigné·es de l’emploi ».
Privatiser l’accompagnement
On ne parle plus d’efficacité, ne serait-ce qu’au service des employeurs, mais bien de collusion avec les patrons. À l’époque de l’ANPE, ancêtre de Pôle emploi, plusieurs études avaient démontré sans aucun doute possible l’efficacité des accompagnements réalisés en interne plutôt que par ces fameux « opérateurs privés de placement » (OPP), qui avaient été généralisés en 2000, lorsque Nicole Notat, secrétaire générale de la CFDT coprésidait l’Unedic ! Depuis, la direction de Pôle emploi a continué d’organiser le transfert des activités d’accompagnement des chômeurs vers les OPP, transfert émaillé régulièrement de scandales dont le dernier en date – l’affaire Ferraci – résume bien les intérêts peu vertueux qui existent derrière ce processus. Derrière les grandes phrases des objectifs prétendus de la loi, beaucoup d’éléments restent à préciser ! Toutes les personnes sans emplois – chômeur·es, jeunes, allocataires du RSA, handicapé·es – seront tenues de s’inscrire à France Travail qui devra ensuite les orienter vers les opérateurs « les plus adaptés ». Il est à craindre que derrière cette obligation et l’inflation des personnes inscrites, on en arrive enfin à consacrer les ressources publiques à l’accompagnement des plus précaires pour transférer tous les autres vers les OPP… Quel juteux marché !
Renforcement des sanctions
Qui dit matraque, dit tabassage : un objectif essentiel de la nouvelle structure sera de formaliser l’aspect coercitif du service patronal de l’emploi. Le projet personnalisé d’accès à l’emploi laisse place à un contrat d’engagement réciproque. Bien sûr, l’allocation chômage ou le RSA pourront être suspendus temporairement, en tout ou partie, voire définitivement supprimés lorsque le bénéficiaire refuse sans motif légitime de respecter son contrat d’engagement : entendre s’il refuse un boulot indigne ou s’il renonce à un accompagnement et des démarches inutiles et humiliantes.
Déjà le décret de 2018 formalisait la criminalisation et la judiciarisation des chômeur·ses en inventant des peines progressives, un échelonnement des sanctions en cas de récidive et une période probatoire de deux ans à partir de la première sanction. Et la double peine avec la suppression définitive des droits lors d’une sanction, alors qu’auparavant ils étaient « seulement » suspendus. Depuis ce décret, les services de « contrôle de la recherche d’emploi » (CRE) n’ont cessé de se développer, affaiblissant d’autant les personnels consacrés à l’accompagnement des chômeur·ses, déjà largement en sous-effectifs structurels dès la création de Pôle emploi en 2008.
France Travail a désormais un nouveau patron : Thibaut Guilluy, ex Haut-Commissaire à l’emploi et à l’engagement des entreprises qui avait supervisé l’élaboration de la nouvelle structure. Nul doute que cet ancien élève d’HEC aux dents qui rayent le parquet saura investir toute son énergie à mettre en œuvre la Sainte Trinité au cœur de France Travail : subordination au patronat, privatisation de l’accompagnement, criminalisation des chômeur·ses.
Concernant le financement de la nouvelle structure, il faut savoir que Pôle emploi était déjà financé aux deux tiers par l’Unédic. Rappelons que l’Unédic, sur le modèle de la Sécurité sociale, était une structure gérée par les organisations syndicales et patronales, abondée par les cotisations sociales pour ensuite verser les allocations chômage. C’est une structure jugée archaïque par le pouvoir politique qu’il s’agit de démanteler afin de transférer ses prérogatives au sein de l’appareil d’État. Macron s’y emploie activement. Il avait déjà supprimé en 2019 les cotisations salariales pour les remplacer par la CSG, un impôt déguisé. Depuis la même année, il impose aux partenaires sociaux des cadrages impossibles à respecter pour pouvoir se substituer à eux et réformer l’indemnisation des chômeurs par décret. La nouvelle lettre de cadrage du gouvernement impose à l’Unédic d’augmenter sa contribution de 11 à 13 %, ainsi qu’une contribution complémentaire de 2 milliards sur les excédents de 2024 et 2 milliards sur les excédents de 2026.
C’est un véritable hold-up qui impose à l’Unedic d’augmenter sa dette sur les marchés financiers. C’est aussi une véritable tactique de guerre qui permet d’une pierre trois coups : en asséchant les revenus de l’Unédic, l’État se désengage du financement de France Travail, met en danger l’équilibre financier de l’Unédic, décrédibilisant ainsi la structure tout en justifiant de nouvelles réformes de l’indemnisation en défaveur des chômeur·ses !
Une solution : travailler moins pour travailler tous
Si le gouvernement souhaitait vraiment lutter contre le chômage, il commencerait par réduire le temps de travail. De nombreux économistes cherchent à évaluer le nombre d’emplois potentiels qu’une nouvelle réduction de la durée de travail à 32 heures saurait générer. En fonction des études, on table entre deux et quatre millions ! Une chose est sûre : avec France Travail, l’objectif du gouvernement n’est pas d’en finir avec le chômage, mais de s’attaquer aux chômeur·ses.
Franz Müller (UCL Paris nord-est)