Une tribune pour les luttes

Aux origines d’un parti hégémonique

FLN dégage !

Article mis en ligne le jeudi 25 avril 2019

Depuis le surgissement du 22 février, le slogan « FLN dégage ! » a été largement repris par les manifestants, au point d’être aussi populaire que « Klitou lebled ya serrakine ! » (« Vous avez mangé le pays, bande de voleurs ! ») ou « Echaâb yourid isqat ennidham ! » (« Le peuple veut la chute du régime ! »), mettant ainsi la contestation algérienne au diapason des « printemps arabes » tant décriés par le régime depuis 2011. Dans ce texte, l’historien Nedjib Sidi Moussa [1] revient sur la confiscation du pouvoir par ce parti, antérieure même à l’indépendance du pays.

Partout, la foule compacte reprend le slogan « FLN dégage ! », pouvait-on constater en déambulant dans le centre d’Alger, sous la pluie du 22 mars ou le soleil du 29 mars, où convergeaient dans la liesse ou la colère des Algérois déterminés à en finir avec un « pouvoir assassin » [2], tandis que flottaient les drapeaux algérien, amazigh et palestinien.

Aux côtés de mots d’ordre plus anciens comme « Djazaïr horra dimokratia ! » (« Algérie libre et démocratique ! ») ou plus confus tels que « Djeïch chaâb khawa khawa ! » (« Armée, peuple, frères, frères ! »), le slogan « FLN dégage ! » concentre, en deux mots et en français, le rejet d’un « système » souvent désincarné.

Il s’accorde pleinement à l’exigence formulée dès le 15 mars à travers l’expression « Trouhou gaae ! » (« Partez tous ! »), dépassant ainsi la volonté de se débarrasser du simple Président sortant. Deux semaines plus tard, une banderole tendue dans l’hypercentre de la capitale insistera sur ce point : « Goulna ga3 c’est ga3 » (« Nous avons dit tous, c’est tous »).

Hégémonie par la violence

Mais comment comprendre ce paradoxe apparent qui consiste, pour des millions de manifestants, à réclamer haut et fort la disparition du Front de libération nationale tout en brandissant, dans les rues, des portraits ou symboles de la lutte anticoloniale ? Pour la grande majorité de la population, cédant à une certaine idéalisation de l’histoire, il existerait une différence fondamentale entre le premier FLN, celui de la séquence 1954-1962, et le second FLN, celui de l’Algérie indépendante et néanmoins autoritaire.

Sur le premier aspect, il convient de rappeler que cette opinion ne se démarque aucunement de la propagande du régime ainsi qu’on peut le lire dans le préambule de l’actuelle Constitution algérienne qui célèbre la date du 1er novembre 1954, à savoir celle du déclenchement de la lutte armée contre le colonialisme français par le FLN : « Réuni dans le mouvement national puis au sein du Front de Libération Nationale, le peuple a versé son sang pour assumer son destin collectif dans la liberté et l’identité culturelle nationale retrouvées et se doter d’institutions authentiquement populaires. Couronnant la guerre populaire par une indépendance payée du sacrifice des meilleurs de ses enfants, sous la conduite du Front de Libération Nationale et de l’Armée de Libération Nationale, le peuple algérien a restauré dans toute sa plénitude, un État moderne et souverain. »

Si le FLN a prétendu monopoliser la cause indépendantiste, il n’a pu conquérir son hégémonie qu’en supplantant, dans la violence, son rival nationaliste, le Mouvement national algérien dirigé par le pionnier Messali Hadj, et en intégrant, par la conviction ou la contrainte, des éléments issus du Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques, de l’Union démocratique du Manifeste algérien, présidée par Ferhat Abbas, de l’Association des oulémas ou du Parti communiste algérien (PCA).

La sauvage répression anti-indépendantiste par les autorités coloniales, la compétition violente entre nationalistes algériens pour la direction de la révolution ainsi que l’emploi du terrorisme contre les civils tant par les ultra-colonialistes que par le FLN conduisirent à la militarisation du conflit et à la constitution d’une bureaucratie totalitaire, prélude à l’instauration d’un régime de parti unique. Le temps du pluralisme partisan – truqué et inégal en raison des règles du jeu colonial – était terminé.

Symbole de l’oppression

Après l’interdiction par les autorités algériennes du PCA en novembre 1962, du Parti de la révolution socialiste de Mohammed Boudiaf en août 1963 et du Front des forces socialistes (FFS) de Hocine Aït Ahmed, très implanté en Kabylie, en septembre de la même année, le FLN devint le seul parti autorisé jusqu’en 1989. Durant ces deux décennies, les autorités firent toutefois preuve d’une certaine mansuétude, selon le contexte, à l’égard du Parti de l’avant-garde socialiste, héritier du PCA, engagé dans une démarche de « soutien critique » au régime.

Lors des émeutes d’octobre 1988, des sections locales du FLN – tout comme des commissariats ou des bâtiments officiels – furent saccagées ou incendiées par de jeunes Algériens. Le FLN n’était plus qu’un symbole de l’oppression et de l’injustice. Le pluralisme concédé par les autorités après ce soulèvement populaire mit temporairement un terme au règne du FLN, dépassé par le Fis (Front islamique du salut) et le FFS lors du premier tour des élections législatives de décembre 1991.

Or, le second tour n’eut jamais lieu en raison de l’interruption du processus électoral par l’armée, en janvier 1992. Cette intervention militaire fut suivie d’une guerre civile opposant les forces de l’ordre aux groupes islamistes. Les législatives de juin 1997 virent le triomphe du Rassemblement national démocratique (RND), créé par l’administration à la veille des élections. Le FLN, traversé par une crise, fut alors relégué à la troisième position, derrière les islamistes du Mouvement de la société pour la paix (MSP), de tendance « frériste ».

Avec les élections de mai 2002, le FLN redevint le premier parti politique représenté à l’Assemblée populaire nationale et reprit son rôle d’instrument docile d’un régime corrompu et corrupteur, ouvrant ses portes aux affairistes de tout poil. Il maintint sa place au sein du gouvernement, aux côtés du RND et des islamistes issus de la matrice MSP comme Amar Ghoul, qui fonda en 2012 le parti TAJ (Rassemblement de l’espoir de l’Algérie).

Comme en Tunisie ?

Le RND et TAJ font partie d’ailleurs des organisations conspuées par les manifestants depuis le 22 février. Mais en raison de son histoire aussi longue qu’ambivalente, le FLN demeure le parti qui cimente la colère des Algériens. Ce rejet n’est cependant pas si unanime. La presse datée du 31 mars offrait d’ailleurs deux contributions permettant de saisir les opinions contrastées à ce sujet.

Ainsi, El Watan – proche des oppositions – publiait un texte de l’ancien député du Rassemblement pour la culture et la démocratie Ali Brahimi qui, reprenant sa proposition de loi datée de juillet 2011, exigeait des autorités « l’interdiction immédiate, inconditionnelle et définitive de l’usage partisan des dénominations et sigles du FLN et de l’[Union générale des travailleurs algériens]. » Ceci afin de « restituer tous les symboles de la Révolution algérienne à la mémoire nationale qui en est le seul propriétaire légitime ».

De son côté, L’Expression – pro-régime – publiait un article du professeur Abdelmadjid Merdaci qui accusait ceux qui souhaitaient renvoyer le FLN au musée de réaliser le rêve des « nostalgiques de l’Algérie française et de l’[Organisation de l’armée secrète] »... Il ajoutait que « ceux qui jettent allègrement le bébé avec l’eau du bain se trompent et bien plus commettent la faute terrible d’atteinte, au travers du sigle du FLN, à la mémoire de tous ceux qui, sous son emblème, ont combattu, sont morts pour l’indépendance de l’Algérie ».

C’est là un amalgame douteux commis par un chercheur qu’on a pourtant connu mieux inspiré, d’autant que le « dégagisme » actuel concerne aussi d’autres partis, y compris ceux associés à l’opposition comme le FFS ou le Parti des travailleurs. Ces injonctions anti-partis s’expriment aussi avec le souci de défendre la souveraineté nationale de l’Algérie, y compris sous les formes les plus nationalistes.

Reste à savoir si le FLN connaîtra le même sort que celui du Rassemblement constitutionnel démocratique, l’ancien parti hégémonique dans la Tunisie voisine, dissout en mars 2011, au risque de voir les tenants de l’ancien régime se redéployer sous d’autres étiquettes. L’enjeu n’est plus seulement de s’attaquer aux symboles du système actuel mais, sans doute, pour les révolutionnaires les plus déterminés, d’en finir avec tous les pouvoirs.

Nedjib Sidi Moussa

[1] Il vient de publier Algérie, une autre histoire de l’indépendance – Trajectoires révolutionnaires des partisans de Messali Hadj aux éditions PUF.

[2] En écho au chant emblématique du « Printemps noir » de Kabylie en 2001.

CQFD n°175, avril 2019

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