En septembre, l’Union communiste libertaire a cosigné le manifeste de lancement d’une campagne unitaire rassemblant associations, syndicats et organisations autour de la lutte contre la « technopolice ». Ci-dessous, on relaie et on commente ce manifeste.
Le manifeste Résister à la surveillance totale de nos villes et de nos vies lançant la campagne unitaire contre la « technopolice » [1], à l’initiative de la Quadrature du Net et signé entre autres par l’Union communiste libertaire, part du constat suivant : « Partout sur le territoire français, la Smart City (ou “ville intelligente”) révèle son vrai visage : celui d’une mise sous surveillance totale de l’espace urbain à des fins policières. »
Une actualité sécuritaire qui pousse à se mobiliser
Sont alors rappelées les expériences récentes de vidéosurveillance « fondée sur le traitement automatisé des flux vidéos et capable de faire de la reconnaissance faciale ou de détecter des comportements jugés anormaux » dans des villes comme Toulouse, Valenciennes, Strasbourg ou Paris mais aussi les funestes alliances État-capital à Saint-Étienne ou à Paris où des startups sont payées « pour déployer des micros dans l’espace urbain afin d’alerter la police en cas de bruit suspect » ou celles, plus inquiétantes encore, à Marseille ou à Nice où des grosses boîtes comme Thalès ou Engie accompagnent les mairies dans leurs projets de « couteaux suisses sécuritaires qui vont de la reconnaissance des émotions dans l’espace public urbain à l’interconnexion massive de bases de données à des fins de police prédictive, en passant par la surveillance des réseaux sociaux ». Tenez-vous bien : sans aucune ironie, ces derniers projets portent le nom de safe city (« ville sûre ») ! Mais de quelle sûreté parle-t-on ? Ou plutôt, de la sûreté de qui ?
Minority Report ?
Reposant sur des technologies informatiques de pointe et à la mode comme le Big Data ou l’intelligence artificielle qui rendent possible le traitement et l’analyse des données massives ainsi recueillies, ces différents projets nous donnent un avant-goût de ce que le manifeste appelle « la technopolice ». « Sous couvert d’optimisation et d’aide à la décision, [la technopolice] transforme l’espace public tout entier pour en faire une vaste entreprise de surveillance. » Une surveillance à large échelle d’abord, « dédiée à un pilotage serré et en temps réel des flux de population et de marchandises ». Une surveillance rapprochée des individus, et des groupes ensuite, permettant de neutraliser et réprimer « dès que des comportements “suspects” seront détectés »… mais aussi de « récompenser les citoyen·nes jugé·es vertueu·ses ».
S’inquiéter de tout ceci, ce n’est pas être paranoïaque ; c’est être pragmatique. En effet, « il suffit de regarder dans le miroir que nous tendent l’histoire ou d’autres régions du monde pour savoir vers quoi la technopolice nous conduit : renforcement des discriminations et de la ségrégation, musellement des mouvements sociaux, dépolitisation de l’espace public, automatisation de la police et du déni de justice, déshumanisation toujours plus poussée des rapports sociaux. » Un tel avenir est évidemment incompatible avec le projet de société communiste libertaire mais il est en fait tout simplement incompatible avec l’idée même de démocratie.
Défense du service public, écologisme et antifascisme
Le manifeste note également que l’émergence de la technopolice se fera « au prix d’un gigantesque gâchis financier et écologique, puisqu’il faudra bien de l’argent public, des terres rares, de l’électricité et bien d’autres ressources pour déployer et faire tourner toutes ces infrastructures. » Alors que les gilets jaunes réclament de meilleurs services publics et que la mobilisation écologiste n’a probablement jamais été aussi forte, va-t-on laisser les États et les capitalistes continuer de piller l’argent public et la planète au nom du tout-sécuritaire ? Certaines personnes nous répondront peut-être qu’il faut bien lutter contre le terrorisme de Daech et consorts : certes. Le manifeste n’aborde pas directement ce point difficile mais, en ce qui concerne les communistes libertaires, nous sommes loin d’être démuni·es face à cette question. Des propositions anticolonialistes et antiracistes, en soutien aux quartiers populaires ou aux opprimé·es du Moyen-Orient, en faveur de l’expérience fédéraliste démocratique au Rojava, etc., nous en avons faites [2] et nous continuerons d’en faire ; mais à aucun moment pour nous le gain de sécurité ne peut se faire au prix d’une perte de liberté.
La technopolice n’est pas la solution ; au contraire, la fascisation croissante de la société est bien une partie du problème. Comme le dit le manifeste, « en lieu et place de la polis entendue comme Cité démocratique, comme espace pluraliste, lieu de déambulation, de rencontres impromptues et de confrontation à l’altérité, [les technocrates] veulent mettre la ville en coupe réglée. La technopolice ressemble à un gigantesque tube à essai dans lequel les formes les plus avancées du contrôle social pourront être mises au point. » Nous refusons d’être les cobayes que l’on plongera dans ce tube à essai. Contre une police prédictive à la Minority Report, contre la surveillance totale telle qu’Alain Damasio l’a dépeinte dans la Zone du dehors, contre la tentation fasciste face aux défis que nous pose le capitalisme, rejoignez la campagne et mobilisez-vous contre la technopolice !
Léo (UCL Grand-Paris-Sud)
Les premiers signataires du manifeste contre la technopolice : Bits of Freedom ; Comité justice & libertés Pour tous ; Framasoft ; La Quadrature du Net ; Le Syndicat des avocats de France ; Ligue des droits de l’homme ; Mouvement Utopia ; Ritimo ; Syndicat de la magistrature ; Tous citoyens ! ; Union communiste libertaire ; Union syndicale Solidaires.
[1] https://technopolice.fr/
[2] Voir les précédents numéros du journal !
Alternative Libertaire n°298, octobre 2019