Une tribune pour les luttes

“Coronavirus, croissance de l’État, crise de reproduction”

des nouvelles du front

Article mis en ligne le dimanche 12 avril 2020

Très bon texte mais trop long pour faire un commentaire, on publie donc. dndf -

Coronavirus, croissance de l’État, crise de reproduction

[Ces notes, hasardeuses, mal organisées, « fourre-tout », ont pour unique vocation de favoriser des débats parmi les confinés.]

« Il y a deux façons de tuer : une, que l’on désigne franchement et par le verbe ‘‘tuer’’ ; l’autre, qui reste sous-entendue d’habitude derrière cet euphémisme délicat : ‘‘rendre la vie impossible’’ »

Antonio Gramsci, Cahiers de prison, cahier 3, §32, Gallimard, 1996 (1974), p. 281.

Dans ce temps de déments, les analyses, fumeuses ou pertinentes, brillantes ou ineptes, simplistes ou trop compliquées, fleurissent. C’est qu’on a le temps ! Souvent, il s’agit de commentaires « biologiques », médicaux, voire d’avis prophylactiques : beaucoup sont devenus très vite des spécialistes et des experts en la matière, grâce à un usage immodéré – car contraint – d’internet. Les origines du virus sont étudiées : on dévoile qu’elles sont liées au mode de production capitaliste ; mais le contraire eût été étonnant, car tout est lié au mode de production capitaliste – et les espaces « sauvages » que viendrait bouleverser l’économie n’existent plus.

Parfois, on cherche aussi à décortiquer le comportement de l’État et ses stratégies. Voilà un projet plus raisonnable. Il y a deux façons de le mener à bien : avec du recul historique, ou au bistrot. Mais pour l’heure, nous n’avons ni l’un, ni l’autre. C’est avec cette limite qu’il faut considérer tous les discours, en y ajoutant la frénésie, l’angoisse, et l’accentuation de toutes les névroses.

Un « fait » semble pourtant sous-analysé. Ce « fait », c’est la crise de reproduction des rapports capitalistes. Cette crise est brutale, même si elle était prévue. Si l’on en croit le gouvernement (ce qu’il est en général sage d’éviter), c’est le coronavirus lui-même qui aurait déclenché cette crise. Il est classique que l’on cherche à expliquer les crises par un évènement, fortuit ou non, qui les déclencherait : éclatement d’une « bulle » (vue comme un phénomène autonome), mesures de régulation financières ou monétaires, « chocs » pétroliers, voire éruptions solaires (Stanley Jevons, 1875). Le plus souvent, ces déclencheurs procèdent plus ou moins d’une mauvaise gestion, de l’emprise d’un capital « malsain » sur le capital productif, du mauvais comportement de certains des acteurs économiques ou de l’État : bref, ils sont plus ou moins externes au processus économique. Mais le coup du virus est tout de même un peu fort. Il ne s’agit pourtant pas de dire que l’épidémie – et, dans une mesure importante, sa gestion par les États – n’a pas d’impact sur l’économie et son bouleversement : ce serait idiot. Mais il s’agit de rappeler que les crises sont produites par le mode de production capitaliste lui-même, de façon inéluctable, par le développement de ses contradictions. Particulièrement, à l’échelle du monde, la contradiction qui veut que de plus en plus de travailleurs soient éjectés du processus de production de valeur, alors même qu’ils en sont la condition indispensable, paraît centrale. Il faut aussi se pencher sur la façon dont chaque crise permet au capitalisme de se régénérer momentanément, non pas par des effets magiques mais par la destruction de capital (travailleurs, instruments de production, marchandises) dans des proportions immenses et croissantes ; et comment cette régénération ne peut s’opérer que par l’accroissement des taux de profit, par la contrainte au surtravail la plus brutale, la baisse du salaire réel, l’accroissement du temps de travail, l’augmentation du prix des marchandises, etc. ; enfin comment non seulement cette régénération ne peut non seulement n’être que provisoire, mais en outre chaque fois moins efficace : en d’autres termes, comment la violence de chaque crise et de sa résolution croît alors que l’intervalle avant la prochaine crise ne cesse de diminuer.

Voilà un programme un peu trop ambitieux, sans doute. Mais on a le temps !

L’État et les gens

La crise des Gilets jaunes a montré, entre autres choses, toute la place que prenait l’État dans la reproduction des rapports sociaux capitalistes : dans celle du capital, mais aussi, de manière sans cesse grandissante, dans celle des prolétaires eux-mêmes. Dès lors que la reproduction des prolétaires se fait de moins en moins par le salaire « formel » (celui donné par le capitaliste au travailleur en échange d’une certaine quantité de force de travail), mais de plus en plus de façon indirecte, c’est-à-dire prise en charge essentiellement par l’État (et par l’économie informelle), il est assez logique que les luttes se soient déplacées progressivement de l’usine à la sphère de la circulation, c’est-à-dire, schématiquement, que l’émeute ait remplacé la grève comme forme de lutte typique. C’est la thèse de Joshua Clover (L’émeute prime, 2015). Les prolétaires (ceux qui n’ont rien, ceux qui doivent, pour survivre, mettre en vente leur force de travail – et ça fait du monde), dans le cadre de ces luttes, rencontrent immédiatement l’État, ne serait-ce que sous la forme des forces répressives. Du reste, comme c’est l’État qui a en charge une grande partie de leur reproduction, c’est à lui qu’ils s’en prennent pour améliorer leur sort.

Lire la suitie : https://dndf.org/?p=18450

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