Lettre II.
Mon cher Usbek, je réponds tardivement à ta lettre car ici les événements filent comme au galop d’un cheval piqué par un éperon. Notre sultan et ses mages, médecins et astrologues guettent les avis du bon peuple à la loupe. Ses ministres condamnent ici pour pardonner là bas. L’un des grands serviteurs du royaume a autorisé des cérémonies tandis qu’il interdisait aux plus basses castes de pouvoir manger. Tu avoueras que le vieux monde ne change guère.
Le premier eunuque du Royaume pose toujours un air grave sur la foule tandis que le grand médecin des lazarets promet des choses que le royaume ne peut tenir. C’est ainsi depuis que cette peste tue dans notre constrée. Rien n’y personne ne les contredit. « Vérité dans un temps, erreur dans un autre »
Tout autour d’eux les diseurs de bonne aventure et les charlatans se contredisent à tout de rôle. Si la vie est un théâtre, le spectacle de la mort mise en scène semble lasser un peu le public. Il reste, néanmoins, friand de divertissement plus que de raison.
Il y a quelques lunes de cela, un agent du royaume fermait tous les refuges où l’indigent pouvait être soigné. Les maisons de naissance et autres lieux de reconforts mettaient la clé sous la porte. L’argent manquait au royaume. Notre souverain avait pourtant fait un royal cadeau à son sérail. Ces marquis et barons ne verseraient plus l’impôt. La colère s’empara des vilains qui ne voyaient pas les efforts que le Prince produisait.
Notre sultan calma son peuple à coups de sabres et de mutilations bien méritées. Son maitre des chiens l’assistait en toute circonstance. Il puisa quelques pièces d’or de sa cassette personnelle et le pays retrouva un visage apaisé. Ce fut de courte durée. Notre sultan qui prenait du bon temps promit et ne tint pas. Nul n’est tenu de croire l’élu de Dieu.
Mon cher, dans ta lettre précédente, tu me racontais ce cher monarque du pays qui se tient au dessus de la péninsule romaine : « Le roi de France est le plus puissant prince de l’Europe. Il n’a point de mines d’or comme le roi d’Espagne son voisin ; mais il a plus de richesses que lui, parce qu’il les tire de la vanité de ses sujets, plus inépuisable que les mines.[...]D’ailleurs ce roi est un grand magicien : il exerce son empire sur l’esprit même de ses sujets ; il les fait penser comme il veut. » Est-ce encore vrai ?
Pour notre compte, nous avons ordonné au chef des eunuques de nous mener à la campagne. Il te dira qu’aucun accident ne nous est arrivé. Nos permissions nous sont fort utiles pendant que dans la cité du Royaume chacun croit sauver son âme en respectant les balivernes propagées par un astrologue de grande renommée. Il est à noter que plus sa notoriété est grande, plus grands sont les mensonges qu’il répand comme un venin dans un corps sain.
Le 20 de la lune de Saphar.