Le 16 février, Frédérique Vidal, ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, déclarait à l’Assemblée nationale que « l’Université est gangrénée par l’islamo-gauchisme » et elle demandait au CNRS une enquête sur « l’islamo-gauchisme » dans les enseignements et recherches universitaires.
Ces propos font écho à ceux, tout aussi consternants, de Jean-Michel Blanquer, ministre de l’Éducation Nationale, qui, au Sénat, avait dénoncé « des courants islamo-gauchistes très puissants dans les secteurs de l’enseignement supérieur et qui commettent des dégâts sur les esprits. »
Ainsi, ces ministres mènent-ils une grossière opération nauséabonde destinée d’une part à faire oublier leur gestion incompétente de la crise sanitaire et d’autre part à chercher, dans la perspective de la présidentielle, des voix pour Emmanuel Macron chez les pseudo-laïques, de l’extrême-droite à une certaine « gauche », qui participent aux ratonnades médiatiques contre nos concitoyens d’origine arabo-musulmane.
Plus globalement, l’entreprise de haine et de discrimination menée depuis des mois à l’encontre d’une partie de la population vise à justifier des mesures liberticides et antilaïques et à détourner l’attention des citoyens des attaques incessantes du pouvoir contre les services publics, le droit du travail, les acquis sociaux…
La Provence blanche revient : « Prouvençau e catouli » **
Dans notre département, le député Julien Aubert a apporté sa contribution à l’opération Vidal-Blanquer. Il demande une enquête parlementaire sur « les dérives islamo-gauchistes » mais aussi « néo-féministes » ou relevant de la « cancel culture » dont il se verrait bien devenir le rapporteur (cf. le Dauphiné libéré du 25.02.2021).
Après s’en être pris aux libres penseurs qu’il accusait de « détruire, jour après jour, toute référence aux traditions folkloriques et à la culture judéo-chrétienne de notre pays », il rejoint maintenant la croisade contre « l’islamo-gauchisme ». Son engagement clérical l’avait déjà conduit à déposer le 17 décembre 2015 sur le bureau de l’Assemblée nationale une proposition de loi visant à modifier l’article 28 de la loi de Séparation des Églises et de l’État de 1905 pour que soit autorisée l’installation des crèches chrétiennes dans les mairies.
Rappelons-lui que le premier acte du premier Conseil Municipal d’Avignon, élu le 25 mars 1790, fut de supprimer le tribunal de l’Inquisition, en place dans ce territoire encore pontifical, et que la loi de 1905 en instaurant la liberté de conscience a mis fin à la police de la pensée, aux interdits professionnels, aux doctrines d’État, exception faite de la période de la dictature du maréchal Pétain où l’Université et les administrations publiques furent « débarrassée de l’emprise judéo-maçonnique » par les révocations et déportations…
La liberté absolue de la Recherche doit être respectée !
La Libre Pensée s’opposera à toute tentative d’instauration d’une police par et dans les institutions d’enseignement et de recherche interdisant certaines thématiques comme dans les universités hongroises, brésiliennes ou roumaines.
Qu’est-ce qui gangrène vraiment l’Université ?
Ce qui gangrène vraiment l’Université, Mme Vidal, Mr Blanquer, c’est la précarité et la misère auxquelles sont confrontés un nombre croissant d’étudiants, certains faisant la queue aux banques alimentaires, d’autres fouillant les poubelles pour pouvoir manger.
Ce qui gangrène l’Université, c’est la longue fermeture des facs, privant l’immense majorité des étudiants de cours en présentiel et les condamnant à la désorganisation des partiels, à des emplois du temps pour le moins incertains, à une vie sociale réduite, conduisant par désespoir certains au suicide.
Ce qui gangrène l’Université, Mme Vidal, c’est votre loi de Programmation de la Recherche (L.P.R.)*** qui remet en cause le statut d’enseignant-chercheur et élargit la voie à la privatisation des facultés.
Ce qui gangrène l’Université, c’est l’amendement ajouté à cette loi L.P.R. qui pénalise d’un an de prison et de 7 500 € d’amende les étudiants qui « troubleraient la tranquillité et le bon ordre de l’établissement » (peine portée à 3 ans de prison et 45 000 € d’amende si le délit est commis en réunion). C’est la fin de 800 ans de franchise universitaire que Robert de Sorbon avait arrachée à l’Eglise en 1253, émancipant l’Université de la police, de la cité et de l’État.
Oui, les ministres Blanquer et Vidal ont emprunté une expression du répertoire de l’extrême droite, « l’islamo-gauchisme », variant actuel du « judéo-bolchévisme » et du « judéo-maçonnisme », pour l’accoler à l’Université et masquer un fait primordial : l’Université est dévastée et les étudiants deviennent une génération sacrifiée à cause de contre-réformes et de réductions budgétaires, menées depuis des décennies, que l’actuel gouvernement poursuit et amplifie.
La Libre Pensée apporte son soutien aux étudiants, enseignants et personnels de l’Université qui revendiquent et agissent pour que l’enseignement supérieur ait les moyens financiers pour assurer ses missions, pour la liberté absolue de la Recherche, pour le recrutement massif d’enseignants et de personnels, pour le respect effectif du droit aux études pour tous les étudiants, pour l’organisation de partiels justes et honnêtes garantissant l’égalité, pour le retrait de l’intégralité de la loi L.P.R , contre l’expulsion du territoire des étudiants étrangers pour « absence de résultats satisfaisants ».
Le 6 mars 2021,
le bureau départemental de la Libre Pensée 84
* « judéo-maçonnisme » et « judéo-bolchévisme » : ces néologismes, fabriqués le premier par les adversaires de la Révolution française et le second par des russes blancs après la Révolution d’octobre, visaient en s’appuyant sur l’antisémitisme chrétien à présenter ces révolutions comme le fruit de conspirations réunissant les juifs et les francs-maçons et/ou les bolchéviks. Cette thèse a été reprise contre la République espagnole par la propagande franquiste et, dès 1940, le gouvernement de Vichy diabolise la « monstrueuse alliance du communisme moscoutaire, du radicalisme maçonnique et de la finance juive » qui a « précipité la France dans une guerre idéologique après l’avoir affaiblie ». Le néologisme « islamo-gauchisme », fabriqué par l’extrême-droite, sert aujourd’hui à stigmatiser tous ceux qui ne se prêtent pas aux campagnes amalgamant terrorisme et musulmans organisées pour faire diversion à la politique d’Emanuel Macron et justifier ses atteintes aux libertés.
** « Prouvençau e catouli » : « Provençal et catholique », chant religieux rédigé en 1875, devenu l’hymne de la Provence catholique, la Provence blanche, dans son combat contre les républicains.
*** La Loi de Programmation de la Recherche (LPR) institue le financement de la recherche sur projets, la remise en cause des statuts des personnels, avec pour conséquence la contractualisation généralisée et la fin de la liberté de recherche, ainsi qu’un grave amoindrissement des franchises universitaires.