Une tribune pour les luttes

RESF 84.

Sur la situation des fils et des filles des travailleurs marocains du Vaucluse

Abdel, Amine, Moussa, Youness, nous avons honte pour notre pays...

Article mis en ligne le jeudi 23 octobre 2008

Ils s’appellent Abdel, Amine, Moussa, Youness, chacun à son histoire, chacun
a fait des projets d’avenir, tous ont cru que la France leur offrirait une
vie meilleure que dans le pays qu’ils ont quitté. Pourtant, comme bien
d’autres dans le département de Vaucluse, leur parcours est identique.
Fils
de travailleurs marocains, ils sont un jour rentrés en France avec leur père
et beaucoup d’entre eux avaient alors plus de 13 ans. Des pères qui pour la
plupart travaillent en toute légalité, depuis des décennies dans ce pays, le
plus souvent dans l’agriculture et le bâtiment. Travailleurs dociles et durs
à la tâche ils ont toujours représentés une main d’œuvre qui était « pain
béni » pour les employeurs. Comme tous les pères eux aussi avaient des
projets pour leur famille restée au Maroc. La plupart ont alors essayé par
le biais du rapprochement familial, de faire venir cette famille auprès
d’eux, mais depuis quelques années cette possibilité ne leur a plus été
accordée. Ils ont gardé le droit de travailler mais pas celui de vivre en
famille. Pourtant au fronton des édifices de la République est toujours
inscrit la devise « Liberté, Égalité, Fraternité » !!!

Si ces pères avaient pu faire vivre correctement leur famille au Maroc, nul
doute qu’ils y seraient restés. Ils ont continué à accepter l’exil pour
permettre aux leurs de ne pas subir davantage la pauvreté. N’ayant d’autres
alternatives, ils ont fait venir leurs fils, pour que ces derniers les
remplacent le jour où devenus vieux trop tôt, malades à cause de conditions
de vie souvent précaires, cassés physiquement par les travaux les plus
pénibles, ils ne pourraient plus assurer la subsistance de ceux des leurs
restés au Maroc.

Qu’ils s’appellent Abdel, Amine, Moussa ou Youness, ils sont donc un jour
arrivés avec leur père. Comme tous les enfants et adolescents de leur âge,
ils ont été scolarisés. Imaginez-vous 5 mn à leur place, hier au bled,
aujourd’hui au collège, pour beaucoup avec des difficultés de langue et le
soir, seul, à la maison avec un père, malheureusement, très souvent
illettré. Pas facile de s’intégrer, pas facile d’accepter les réflexions,
les regards désapprobateurs, les insultes. Pourtant, beaucoup, avec l’aide
de leurs enseignants ont obtenu des résultats, certes, les obstacles à
surmonter étaient tels qu’il était difficile pour eux d’envisager des études
qui leur permettraient aujourd’hui de prétendre aux métiers très spécialisés
retenus pour prétendre à une régularisation par le travail. Arrivés à 14,
15, 16 ans, ils sont souvent sortis du système scolaire sans qualification
et comme avant eux leur père ils ont alors recherché des travaux compatibles
avec leur capacité.

Quelques uns, devenus majeurs, ont tenté de réussir l’épreuve de la
régularisation, peu l’ont réussie, les critères retenus ne correspondant pas
à leur situation. D’autres n’ont même pas essayé. Tous se sont alors
retrouvés en situation irrégulière . Devenus des hommes, ils ont eux aussi
fait des projets : s’installer avec leur copine, se marier, avoir des
enfants, travailler. Des désirs identiques à tous les jeunes de leur âge.

Oui , mais la grosse différence avec ceux de leur âge étaient qu’ils étaient
devenus des sans-papiers et que la seule chose qui un jour ou l’autre allait
leur arriver, était l’arrestation, le transfert en centre de rétention et le
passage devant un juge où leur avenir serait décidé en 5 mn. Bien sur, tous
savaient que la règle du « pas vu pas pris » ne pourrait durer éternellement
compte tenu de la politique de la France en matière d’immigration. Ils
continuaient tout de même à espérer et brutalement gendarmes ou policiers
ont écrit un nouvel épisode de leur jeune vie. La suite allait être la garde
à vue avec possibilité de passer un coup de fil, puis la conduite en centre
de rétention administrative à Marseille ou Nîmes. Centre de rétention,
vieille tradition française, dont la généralisation s’intensifia durant
l’entre deux guerres, puis sous le gouvernement de Vichy pour empêcher des
populations de toutes nationalités, perçues comme une « menace » de se
disperser sur le territoire : espagnols, juifs, gitans, et plus tard
algériens. Que ceux qui ne savent pas ce qu’est un tel endroit y fassent un
jour une visite. Même de l’extérieur le lieu n’a rien d’un club de vacances
ni d’une résidence hôtelière. Ce n’est ni plus ni moins qu’un univers
carcéral où même les visiteurs sont parfois traités avec plus de mépris que
dans une classique prison. Lourdes grilles, barbelés, « cour » exigüe pour
respirer un peu d’air extérieur, gardiens etc... Une population aux origines
géographiques diverses, des jeunes, des moins jeunes, des femmes et même des
enfants, dont les regards difficiles à supporter traduisent le désespoir,
l’appel au secours. Sous 48 h, « les retenus » vont être conduits devant le
juge des libertés et de la détention. Peu de temps pour constituer une
défense, réunir des documents. Certains ont un avocat, pour les autres le
salut vient de la CIMADE, qui va leur en trouver un, préparer les recours,
les renseigner, leur expliquer avec efficacité et humanité. La CIMADE, dont
le ministre Hortefeux voudrait aujourd’hui limiter l’action !!!

Puis c’est le passage devant le juge, là encore, que ceux qui douteraient
aillent un jour à ce type d’audience qui peut se tenir y compris le
dimanche. Ceux qui assistent à l’audience doivent montrer patte blanche, les
avocats ont quelques fois les pièces du dossier quelques minutes avant
seulement, les « retenus » sont gardés dans une pièce et menottés dans le
dos en attendant le début du simulacre de jugement. Les juges s’adressent
aux prévenus en les appelant parfois par leur seul prénom voire leur
nationalité et en quelques minutes les dés sont jetés . Rétention maintenue
en centre ou à résidence ou liberté. Beaucoup vont déposer un recours et
vont passer à nouveau devant le tribunal administratif mais sauf
« miracle », la décision prise par le préfet sera confirmée et l’expulsion
programmée dans les 15 jours qui suivent.

Dernier acte, l’expulsion . Le miracle n’est pas arrivé et Abdel, Amine,
Moussa ou Youness sont conduits à Marignane . Ils ont encore la possibilité
de résister, de refuser d’embarquer, ils s’exposent alors à des poursuites
en correctionnelle et à des peines de prison mais également à une
neutralisation musclée de la part de la PAF, comme plusieurs d’entre nous y
ont déjà assisté. Hélas, l’expulsion qui a échoué un jour, sera programmée
un autre et en avion ou en bateau, le « rêve » français prendra fin sur le
tarmac ou le port de Casablanca.

Abdel, Amine, Moussa, Youness, nous avons honte pour notre pays, honte de
tant d’injustice, honte de tant de vie gâchée ; mais, nous vous promettons
que nous allons continuer le combat, nous faisons le vœu d’être chaque jour
plus nombreux à exiger :

Des Papiers pour tous les sans-papiers .

Un texte envoyé par Anne

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Vos commentaires

  • Le 19 octobre 2008 à 15:30, par Halio En réponse à : Sur la situation des fils et des filles des travailleurs marocains du Vaucluse

    Ce texte est beau et bien écrit. Il répond sans doute à une vraie préoccupation et y répond avec une certaine intelligence. J’y souscris donc pour la plupart.

    J’aimerais néanmoins y apporter une réflexion personnelle, nettement moins correcte politiquement : s’il est vrai que la France a exploité dramatiquement ses travailleurs étrangers, et plus particulièrement ses travailleurs maghrébins, s’il est vrai que toutes les politiques d’intégration (quel mot horrible !) ou d’assimilation (quelle idée saugrenue !) ont échoué, il n’en reste pas moins que la population musulmane a pour habitude de considérer nos terres comme celles du Dar al Harb (terre de la guerre) et que nous autres dhimmis n’aurions qu’un droit, celui de reconnaître Allah, dans toute sa clémence, dans toute sa miséricorde.

    Arabisant convaincu, passionné de la science et de l’art arabe, détenteur d’un diplôme d’arabe de l’université américaine du Caire, ami de nombreux égyptiens, libanais, syriens, jordaniens (et même d’un saoudien...), lecteur admiratif de Khalil Gibran, de Naguib Mahfouz ou bien d’ Amin Maalouf (et de bien d’autres écrivains arabes sublimes), je n’en reste pas moins athée et la conception du monde par l’Islam me met dans des états d’énervement que certains de mes meilleurs amis jugent très excessifs.

    Que les jeunes arabes se sentent floués par les promesses de la France, cela me paraît évident. Ils ont sans doute raison de ne pas vouloir de cette société qui les rejette absolument, et je pense sincèrement que je serais de leur côté si j’avais eu la malchance de naître parmi eux, dans ces cités minables, dans ces quartiers pourris, avec très peu d’espoir que leurs prénoms d’Abdel, de Moussa ou de Younes puissent convaincre un quelconque directeur des ressources humaines très attaché à ses petites certitudes.

    Arnold Toynbee parlait des "barbares extérieurs" comme d’une richesse indispensable à toutes les civilisations (lire son livre "L’Histoire", paru aux éditions Bordas). Cette richesse vient de ce que les peuples et les cultures s’enrichissent nécessairement par l’échange de leurs savoirs et de leurs expériences. L’exogamie et l’interdit de l’inceste sont sans doute à ce sujet parmi les premières preuves de l’importance du "mélange".

    Le problème est que le peuple arabe, depuis l’Islam, refuse cet échange. Nous sommes bien "Dar al Harb" et toute intégration, toute assimilation de nos valeurs est un crime (Nike et Mac Donald exceptés). Un crime parfois puni de Takfir (la déchéance).

    Mais venons en à ma conclusion : la culture arabe doit être respectée, l’Islam n’est peut-être pas la pire des religions (elles le sont toutes en ce qui me concerne), mais le politiquement correct de votre texte m’énerve un tant soit peu.

    De deux choses l’une, soit vous suivez les moutons en clamant haut, fort et benoîtement que les musulmans sont nos frères (ce qui est vrai), mais dans ce cas vous ne devez pas avoir honte d’être vous-même, soit vous leur dites ceci : "Tu es venu ici pour un rêve que nous ne t’avons pas permis de vivre. C’est peut-être un peu de notre faute, et il faut sans doute que nous fassions ensemble ce qui est nécessaire pour que ton rêve s’accorde au nôtre et pour qu’il s’accomplisse. TU ES ICI CHEZ TOI ET NOUS SOMMES CHEZ NOUS. Tu ne peux à la fois vouloir les Nikes à € 150 de nos magasins et cracher sur nos tombes".

    Je crois que nous sommes capables de tenir ce langage. Je ne doute pas qu’un jour les jeunes maghrébins deviennent capables de le tenir.

    Le respect doit être mutuel. Il ne l’est pas pour l’instant, des deux côtés.

    Cordialement

  • Le 22 octobre 2008 à 13:04, par Christiane En réponse à : Sur la situation des fils et des filles des travailleurs marocains du Vaucluse

    Monsieur, vous confondez tout.

    Moussa, Samira, Abdel, Amine, Youness, ces jeunes sont parfaitement intégrés, parfaitement Français, avec des amis de toutes origines qui pour Moussa étaient présents au rassemblement hier devant le camp de rétention où il est enfermé ; et ils se retrouvent de manière indigne à la rue dans un pays où ils sont étrangers, dont ils ne parlent quelquefois pas la langue, livrés à eux-mêmes , sans argent, sans bagages.

    Lisez http://resfmaroc.unblog.fr/

    A-t-on le droit de traiter ainsi des jeunes élevés en partie ici (et quelques années à ces âges-là, c’est toute une vie), nos enfants !
    Moussa, Samira que le RESF Marseille a un peu connus travaillaient avant leur arrestation, comme l’ont fait leurs pères que nous avons été chercher quand nous en avions besoin, exploités pendant plus de trente ans , qui sont aujourd’hui cassés après une vie passée loin de leur famille et continuent souvent quand même , plein de confiance dans l’Etat français à ne pas comprendre ce qu’on est en train de faire subir à eux et à leur enfant.

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