Une tribune pour les luttes

Maison d’arrêt des Baumettes

Une critique du rapport du contrôleur des lieux de privations de liberté

une bonne prison est une prison vide
+ Dernier jugement du 10 janvier du tribunal de Marseille saisi par l’OIP

Article mis en ligne le jeudi 10 janvier 2013

Bonjour à tous,

En tant que compagne et amie de détenus aux Baumettes sur une période cumulée de 20 mois entre 2008 et 2012 ; ayant perdu mon compagnon dans cette prison le 3 avril 2009 , décédé au quartier disciplinaire ; accompagnant à plusieurs aujourd’hui dans sa sortie de détention préventive mon ami (incarcéré alors qu’innocent) ; et en tant que co-animatrice remplaçante de l’émission parloir libre sur radio galère à Marseille (messages de familles de détenu-es, dédicaces musicales et informations),
je me permets de vous donner à lire une synthèse et des commentaires personnels sur les Baumettes en particulier et la prison en général, suite à la parution le 6 décembre du rapport du Contrôleur des lieux de privation de liberté sur les Baumettes.

Ce rapport a été largement médiatisé mais il omet de nombreux aspects de la détention, et surtout ne va pas au fond du problème, celui de la violence des rapports sociaux.

Certains n’apprendront rien de neuf ou trouveront ça trop mou, ou ce sera juste une mise à jour ; pour d’autres c’est l’occasion peut être de donner un autre éclairage sur ce qui se passe. N’ayant rien lu de tel, un minimum critique et croisé, je me lance, même si ce n’est pas de la grande littérature, vous m’excuserez.

Par ce message, je souhaite plusieurs choses :

  • A titre informatif vous donner à lire une synthèse du rapport et des derniers développements. Je me base sur le rapport, la réponse de la ministre et les articles de presse qui ont suivi. Cela vous permet de vous faire une idée rapide des choses sans tout lire. C’est un sujet important, noyé dans le flot médiatique, mais qui concerne 2000 personnes à Marseille, soit environ 10000 si l’on y ajoute les familles et ami-es, et près de 70000 détenu-es en France, je vous laisse faire le calcul. La France suit le même chemin en matière judiciaire et pénale que les Etats-Unis. De près ou de loin, nous sommes donc tous concerné-es ou le sommes potentiellement.
  • Enfin de manière plus critique, je fais quelques commentaires, en italique dans le texte, destinés à vous faire réagir par rapport à ce que les médias et le rapport sous entendent. C’est à dire que le problème n’est pas l’aménagement de la prison, la construction de nouvelles prisons, ça n’est pas de donner à la prison un visage humain, mais bien d’en finir avec toutes les prisons. Le discours sous jacent porte sur la responsabilité, la culpabilité et la rédemption individuelle, l’intégration des déviants à la société et au système capitaliste, la normalisation et la contrainte des individus. Ne vous laissez pas avoir par les discours sur la pédagogie, la réinsertion, les droits de l’homme, l’intégration.

La prison est l’espace de gestion et de contrôle des populations à la marge du système capitaliste. Majoritairement, les personnes incarcérées viennent des couches les plus fragiles, pauvres et rebelles de la société. La prison n’a pas d’autre fonction que de gérer la misère et le "hors la loi" induits par le système, voir de chercher à les rentabiliser sur le mode américain, en contraignant une population captive à l’esclavage. Les vrais champions et escrocs du capitalisme mondial ne mettent pas les pieds en prison ...

Ci dessous, et en pièce jointe mon texte (également le rapport et les photos [voir l’article sur Mille Bâbords pour le rapport et les photos http://www.millebabords.org/spip.php?article22201]).

C’est en 4 parties : 1 ce qu’est ce contrôleur ; 2 ce que dit le rapport, la réponse de la ministre et ce qu’il oublie ; 3 la politique pénale en France ; 4 les suites de la publication du rapport.
[...]

Merci,

T.


[

Ajout Mille Bâbords du 10 janvier 2013

Le tribunal administratif de Marseille enjoint l’administration pénitentiaire d’engager une nouvelle tranche de travaux dans un délai de trois mois, mais rejette la fermeture des bâtiments les plus délabrés.

Le juge des référés du tribunal administratif de Marseille saisi par l’OIP (Observatoire international des prisons) a ordonné aujourd’hui 10 janvier 2011 de nouveaux travaux à accomplir dans un délai de trois mois, afin de rétablir la dignité des personnes à la prison des Baumettes. Il s’agit pour l’essentiel de travaux d’étanchéité, de mise en conformité électrique, de remise en état des monte-charges pour le transport des déchets et d’installation de cloisons d’intimité dans 161 cellules.

Mais le tribunal a rejeté la principale demande formulée par l’OIP concernant la fermeture des bâtiments les plus délabrés (A, B et D) dans l’attente de leur rénovation, l’arrêt de nouvelles affectations de détenus au sein de ces bâtiments détériorés et à terme la fermeture définitive de ces bâtiments.]


A. Le contrôleur des lieux de privations de liberté : de quoi s’agit t il ?

Le contrôleur des lieux de privations de liberté a été institué sous Sarkozy. Mr Delarue a été nommé par décret par celui ci. L’autorité est indépendante et contrôle les lieux de privation de liberté pour s’assurer du respect des droits fondamentaux, en relation avec la Convention contre la torture et autres peines et traitement cruels, inhumains et dégradants adoptée par l’assemblée générale des Nations-Unis le 18 décembre 2002.

Il émet des observations et rapports. Son principal pouvoir est de rendre ceux ci publics, et d’adresser ses observations au procureur de la République en cas de faits répréhensibles pénalement.

Le contrôleur a présenté ce rapport et ces recommandations dans le cadre d’une procédure d’urgence, suite au constat lors de sa visite des Baumettes en octobre 2012 de violations graves des droits fondamentaux des personnes privées de liberté. Le rapport est suivi d’une réponse datée du 4 décembre de la ministre de la justice Mme Taubira, et il y aura la publication d’un rapport détaillé.

B. Ce que dit le rapport, les réponses apportées par la Ministre, et quelques remarques sur ce que ne dit pas le rapport (en italique) ...

Le rapport indique que l’état d’insalubrité et de délabrement, les conditions d’hygiène indignes aux Baumettes sont connues depuis 1991 avec le rapport du Comité de Prévention de la Torture. Celui ci a refait les mêmes constats en 1996. C’est ensuite en 2000 une délégation du Sénat qui dit les mêmes choses, puis en 2005 le commissaire européen aux Droits de l’Homme. Peu de choses ont évolué depuis.

1 ) ETAT MATERIEL DES BAUMETTES

  • Constats

Cellules. Le rapport présente un témoignage de détenus sur l’état de leur cellule. Absence de fenêtre, problèmes électriques, absence de lumière, WC non fixés et pb de chasse d’eau, pas de cloison d’intimité, présence de rats et cafards, murs dégradés, saleté, pas de tables ou chaises...
Le rapport note que selon l’attribution des cellules, les conditions d’existence aux Baumettes sont très différentes (inégalités de traitement et manière de faire pression sur les détenus)

Insalubrité générale. Le rapport indique que seules 9 cellules sur 98 visitées ne font pas l’objet d’observations sérieuses. De manière générale, le traitement des déchets est problématique, ainsi que l’hygiène, dans les douches, les cuisines ; le réseau électrique est insuffisant et dangereux, la commission incendie a même demandé la fermeture des locaux en 2011. Il est constaté l’omniprésence de rats et nuisibles (cafards). Un petit nombre de douche fonctionne, ce qui ne permet pas à tous les détenus de se doucher. Les infirmiers et greffiers refusent d’entrer en détention du fait de l’insalubrité...

Défauts des travaux récents. Des travaux ont été entrepris en 89 avec la construction du bâtiment D, qui est actuellement le plus "luxueux" et où vont les détenus les plus favorisés, mais celui ci présente des problèmes d’étanchéité et de structure. Les portes aménagées récemment pour les véhicules sont défectueuses.

Entretien. Les crédits de maintenance ont diminué de 26% en deux ans. L’équipe d’entretien se compose de 10 personnes environ (pour 1769 détenus). Les détenus restent parfois dans des situations difficiles longtemps : absence de lumière, frigo, de chasse d’eau, vitres cassées ...

Budget. Les crédits sont en baisse (-7% entre 2011 et 2012), ainsi que les dépenses au titre de l’hygiène et des travaux. Il est fait allusion à la gestion en régie (problématique) de l’établissement, par rapport à d’autres en gestion privée.

Travaux projetés. Le gouvernement s’est engagé à reconstruire le centre pénitentiaire des femmes et construire une maison d’arrêt hommes (Baumettes 2), mais rien n’est projeté sur la maison d’arrêt hommes actuelle, la plus dégradée.

  • Propositions faites sur les conditions d’"hébergement"
    • renforcer l’équipe de maintenance
    • faire des travaux étanchéité et fluides
    • mettre en oeuvre mesures efficaces de nettoyage et hygiène (aussi pour les repas)
  • Réponse de la ministre sur les travaux et la maintenance.

Contrairement au rapport, il est indiqué que le budget de la maintenance a été augmenté de 12% entre 2011 et 2012. Des cloisons d’intimité dans 161 cellules, un quartier d’arrivants de 60 places, la levée des réserves incendies, l’étanchéité des toitures du bâtiment A sont projetés d’ici 2 ans.
La lutte contre les nuisibles fait l’objet d’un contrat qui semble suffisant.
La réponse présente le projet de restructuration des Baumettes qui doit s’achever en 2017.

735 places de plus doivent être construites vers Luynes

560 places de plus dans le cadre de Baumettes 2 (sur l’actuelle maison d’arrêt des femmes)

2 ) SURPOPULATION

  • Pour 1190 places au 1er octobre, il y a 1769 détenus. Les surveillants ne sont pas assez nombreux pour gérer et il y a un taux d’absentéisme important du fait des conditions de travail. (des fois 1 surveillant pour 200 détenus)
  • Propositions :
    • ramener la population au nombre de places prévues
    • actualiser les effectifs de personnel
  • Réponse de la ministre sur la politique pénale et surpopulation

Concernant la surpopulation, il est indiqué que l’inondation du centre de Draguignan en 2010 a augmenté le nombre de détenus dans les prisons de la région...
Il est expliqué de manière contradictoire que la construction de nouvelles places doit permettre de répondre à la vétusté sans créer de nouvelles places (juste mettre les détenus en "trop" aux Baumettes dans de nouvelles cellules), mais que cependant de nouvelles places sont envisagées dans le cadre de Baumettes 3 ... ceci en fonction des besoins évalués compte tenu de la politique pénale menée par le gouvernement (circulaire du 19 septembre 2012 visant à favoriser les alternatives et aménagements de peines, dont l’application sera suivie avec attention aux Baumettes)...sensée diminuer le nombre de personnes en détention !
Concernant le personnel, il est noté qu’il est en augmentation régulière (674 personnes), et qu’un audit va être mené.

3 ) ACTIVITES

  • Le rapport indique la faiblesse des activités.

Quelques dizaines de personnes travaillent dans les ateliers. Les travaux vont diminuer la surface des ateliers. Le service général, c’est à dire les auxiliaires, concerne 170 personnes, qui sont payées 170€ par mois. La diminution du budget a conduit à diminuer le nombre de ces postes et la rémunération. Le recrutement se fait de manière "subjective", pour canaliser la détention.
Il y a 2 moniteurs de sport. Les autres activités sont la cyberbase chez les femmes, un centre de ressources multimedia chez les hommes, et lieux fictifs qui anime des ateliers de cinéma. Les financements ne sont pas pérennisés. La salle de spectacle chez les femmes va disparaitre avec les travaux. L’essentiel des activités est donc la promenade, 6h par jour, et la télévision en cellule (de 17h à 8h du matin).

  • Propositions sur les activités :
    • augmenter les auxiliaires et leur rémunération
    • rechercher des concessionnaires pour le travail
    • les activités socio culturelles doivent être pérennisées et le rôle de l’asso socio culturelle clarifié
  • Réponse sur les activités

De manière générale, il est prévu de recruter 30 auxiliaires supplémentaires pour assurer la distribution des repas, le nettoyage et l’évacuation des ordures.
Concernant le travail, il est expliqué que la pénurie est directement liée au contexte socio économique du bassin marseillais...
Les conditions de travail seront améliorées avec les travaux Baumettes 2, avec la construction de nouveaux ateliers, salles de musculation, polyvalente, gymnase, bibliothèque, salles de cours en 2013.
Concernant la formation professionnelle, il est indiqué que les nouvelles salles (2013) sont conformes aux besoins, mais qu’un audit va cependant être mené.

  • Remarques concernant le travail, la réinsertion et la formation professionnelle

Thématique dont il est le moins question alors que le discours sur la prison est en général axé sur la réinsertion, retrouver un emploi pour s’insérer dans la société etc (aucun chiffre sur la formation professionnelle).

Le travail d’auxiliaire est tout simplement un travail d’esclave moderne, où le détenu participe à la construction de son enfermement pour gagner un peu d’argent faute de mandat, ou alors à la discrétion des surveillants et de l’administration .... Dans quelle entreprise gagne t on 170€ par mois ?à aucun moment l’énormité de ce chiffre n’est remise en question. Il est vaguement question d’augmentation de salaires et d’effectifs pour effectuer les travaux les plus pourris.
Mais un tel travail n’existe pas à l’exterieur (réfection des parloirs, balayage des cours) et n’est assorti d’aucune qualification professionnelle, en admettant qu’on veuille "s’insérer" et faire ce travail à sa sortie ...

On a donc 1800 personnes qui passent leurs journées à regarder la télé ou à marcher dans une cour en béton, sans occupations, avec des inégalités entretenues et amplifiées par la détention, souvent issues de milieu pauvres ou exclues, dans un système de débrouille et de violence au départ. Rien là dessus. La présence de rats et les problèmes d’humidité sont tellement plus choquants que les problèmes humains ! Rien sur l’ennui, la promiscuité, le bruit et la télé abrutissants en permanence.

Rien non plus sur le fait que les activités ne sont ni un devoir, ni un droit en détention, mais qu’elles sont juste un moyen de canaliser la pression et sont soumises à la discrétion de l’administration et sont la carotte des bons détenus. En cas de rebellion ou revendication, les activités sont en effet supprimées. Et les personnes qui y participent visent avant tout à obtenir des jours de grâces supplémentaires...

4 ) VIOLENCE & RAPPORTS SURVEILLANTS/ DETENUS

  • Le rapport insiste sur la violence lors de la promenade, envers les surveillants mais surtout entre détenus. Cette violence est expliquée sommairemment par la "vie marseillaise", et les quartiers Nord ; et également par l’existence du marché noir (téléphone) qui engendre des dettes et injonctions de payer. Certaines personnes ne sortent plus de leur cellule à cause de la violence et du racket, même pour aller aux douches. D’autres demandent à changer de cellule avec insistance (feu, coupures...)

Enfin le rapport indique que les surveillants gèrent comme ils peuvent la détention, et qu’il y a une certaine familiarité avec les détenus, souplesse dans l’interprétation des règles et le fonctionnement du marché. Les cantines posent de nombreux problèmes (lors des livraisons), et le marché noir est très important (1200 téléphones portables trouvés en 2011)

  • Propositions par rapport à la violence :
    • les auteurs doivent être poursuivis
    • les cadres du personnel doivent se rapprocher des agents de base
    • l’organisation des cantines doit être améliorée et contrôlée
    • le personnel doit réinvestir la promenade
    • un meilleur équilibre doit être trouvé entre la gestion différenciée des personnes et les sanctions disciplinaires
    • la proximité entre les surveillants et détenus doit trouver des limites
  • Réponse sur la violence

En ce qui concerne la violence en promenade, la sécurité, des audits sont demandés à l’Administration Pénitentaire. Les auteurs des violences doivent être poursuivis plus durement en justice ...
Les relations entre surveillants et détenus sont inquiétantes, ça va faire l’objet d’un audit ...

  • Remarques

La violence semble ici être le fait d’une spécificité marseillaise, liée à la "faune" des quartiers Nord .. la violence subie par les détenus et surveillants est mise sur le même plan.
Or a violence prend sa source et s’accroît en détention, et la folie également.

Il n’est pas précisé dans le rapport que les cellules font 9 à 12 m², et qu’on y cohabite à 3, dans des lits superposés, sans se connaitre ni forcément s’apprécier, de 17h à 7h du matin, et des inégalités importantes entre les ressources personnelles des détenus. C’est ça la violence.
C’est aussi le fait pour les prévenus d’être présumés coupables et traités comme tel pour un temps indeterminé.
C’est également subir les humeurs des surveillants, lorsque par exemple tout un étage est privé de plaque chauffante ou promenade pour un mot de trop d’un détenu. C’est être changé de cellule et codétenu sans raison, du jour au lendemain.
C’est le confinement, la mise au cachot, à l’isolement, si le détenu exige ce à quoi il a droit, ou craque.
C’est l’intervention et la menace permanente des ERIS, ces forces spéciales en carapace si plusieurs détenus refusent par exemple de réintégrer leurs cellules pour revendiquer quoi que ce soit, ou simplement parce que le surveillant décide de faire remonter plus tôt.
C’est être soumis au bon vouloir et à la disponibilité des surveillants pour aller à un rendez vous, au parloir avocat ....
Il est mentionné la violence en promenade, mais celle, quotidienne, qui s’illustre par le nombre de tentatives de suicides, les auto mutilations ? La violence de la camisole chimique, avec les prétendus soins psychiatriques accordés qui consistent en une distribution massive de somnifères tranquilisants et autres ? Violence de la médecine en détention, quand il faut attendre des semaines ou une vraie aggravation pour être soigné ? Quand le dentiste ne soigne pas mais arrache systematiquement ?
La violence vis à vis des familles et amis, qui pourtant eux, n’ont absolument rien fait ? La stigmatisation des proches ? L’interdiction en derniere minute pour un enfant de voir son père ou son frère, pour un défaut de permis de visite ? Le retour de sacs de linge complet à des familles qui viennent de loin pour un vêtement interdit (capuche) ?
Violence des fouilles à nu, cette humiliation perpetuelle associée au parloir famille et entrées et sorties, réalisées selon le bon vouloir des surveillants ! Certains la pratiquent, et d’autres non. Elle est pourtant interdite ...
Et enfin la violence des inégalités qui se poursuivent en prison ? Les différences entre ceux du D et ceux du B ? la taille des cellules, le droit de porter des lunettes et une ceinture, ou pas, selon son statut social, selon que l’on fait partie de la grande mafia ou que l’on est un "petit" ? Avoir playstation et iphone ou se contenter des barquettes de la prison ? Savoir que l’on est là pour avoir volé mille euros, tandis que d’autres héritent, escroquent des milliards et vivent en paix, loin de la justice et de la prison ?
Violence encore au moment de l’arrestation, de la garde à vue et du jugement, selon qu’on est blanc, noir, arabe, typé, rrom, qu’on parle français ou pas, qu’on écrit ou pas, qu’on a de l’argent ou pas.

Le rapport et sa réponse occultent complètement ces violences là, qui sont pourtant bien le véritable problème et reflètent bien le rôle de la prison au sein de la société : enfermer les pauvres, les exclus, ceux qui se debrouillent et qui luttent en dehors de l’Etat.

Enfin , non les surveillants ne subissent pas la même violence que les détenus, ils sont libres et rentrent chez eux le soir avec leurs familles. Le rapport amalgame complètement les problèmes rencontrés des deux côtés, mais les ampoules des couloirs, pour la ronde, sont remplacées bien plus vite que celles des cellules. Et les 1200 téléphones, rentrent une partie par le parloir famille, et l’autre partie par l’administration pénitentiaire elle même ...

C. A quoi servent ce rapport et sa médiatisation ?

Rien de neuf

Ce rapport ne nous apprend pas grand chose qui n’ait déjà été dénoncé auparavant sur les conditions matérielles de vie en détention. Depuis 1991, rien n’a changé, et n’a pu qu’empirer. Même la commission incendie demande la fermeture des locaux. Il s’agit de violation des droits fondamentaux. Le nombre de détenus a cependant augmenté.
Les médias en parlent tous, les réseaux sociaux s’affligent, c’est terrible, au pays des droits de l’homme. Il faut rénover, assainir, améliorer tout ça.

Rien sur la justice et la politique pénale

Je trouverai intéressant qu’il y ait un "contrôleur des lieux où l’on rend la justice", dont le fonctionnement est édifiant, à Marseille tout le moins.
Il pourrait évoquer le marché au poisson du choix d’un avocat par exemple. Les paiements au noir, les tarifs à la tête du client, le salaire moyen d’un avocat (5000€)... l’opacité du système et la théâtralité des jugements. La présomption de culpabilité qui prime sur celle d’innocence ; et les vacances des prisonniers en attente de verdict, condamnation, confrontation, lorsque les juges sont tous en vacances, et que les greffières sont enceintes...

La politique pénale et l’état de la justice sont les grands absents de ce rapport, qui ne fait que constater les dégâts en bout de course du système. Celà ne peut pas être une omission venant d’une telle autorité, mais reflète bien ce qui est à l’oeuvre : l’emprisonnement n’est pas remis en question, ni les défaillances du système, ni ses raisons d’être.

Enfermer plus

Les conditions sont inhumaines et affligeantes, mais on continue à envoyer les gens en prison.
Les observations du rapport, connues depuis 20 ans, sont en contradiction totale avec la politique pénale menée, particulièrement depuis Sarkozy, et se qui se poursuit sous ce gouvernement de "gauche" avec la personne de Mr Valls.
Ce rapport est une caution droit de l’hommiste à l’enfermement, pour masquer les politiques judiciaires et pénales menées visant à punir plus, et pour tout et n’importe quoi.
Punir qui ? Aucun mot là dessus. Les déviants, les pauvres, les hors la loi, les débrouillards, les étrangers, les plus malins, les fous et les irrécupérables. Remarque, ça n’est pas nouveau non plus.

Enfermer mieux

Le but de ce rapport est d’habituer les gens à plus d’enfermement, mais à visage "humain". Etre enfermé confortablement, proprement. Le rapport et la réponse tournent principalement autour du matériel. Réhabiliter. Rénover. Agrandir. Donner une cellule à chaque détenu, pour atomiser encore plus les relations sociales et contrôler la population carcérale. Créer des activités. Faire en sorte que la détention se passe bien. Que les détenus ne soient pas violents entre eux. Que les surveillants puissent exercer leur travail dans de bonnes conditions, comme n’importe quel travail.

Vers l’américanisation du système

Quelques petites phrases dans le rapport et la réponse indiquent également les défaillances du système public, dans l’emploi des détenus, la qualité des travaux .... En avançant masqué, on nous indique que la puissance publique, n’est pas apte à remplir correctement sa mission de gestion de la population carcérale. On sous entend que le privé serait plus efficace. C’est le chemin qui est pris en matière pénale et carcérale par la France et l’Europe, dans la voie des Etats Unis. Enfermer toujours plus, pour des délits de plus en plus anodins ; gérer les exclus du système économique par la détention. Contraindre cette fois les détenus à travailler pour une misère ; et faire des bénéfices sur le dos du système carcéral.

La faiblesse des observations concernant la culture, la formation, les activités montre bien que le temps du carcéral "social" est terminé. Ces activités sont là pour égayer la détention, lui donner un visage humain, mais ne constituent plus le fer de lance de la fameuse réinsertion.
Au moins, l’hypocrisie est levée, il s’agit de mettre au pas et faire travailler cette population, de la rentabiliser, non de la réintégrer ou autre noble objectif "social" affiché.

Mr Delarue, me Taubira, vos amis et auditeurs, il n’y a pas besoin de nouvelles places ni de faire beau et propre ni d’embaucher du monde ni de faire des activités.
Sortez les. Allez a minima dans le sens de la timide circulaire du 19 septembre, mais dont on ne voit pas la couleur, ni dans la réalité, et à peine dans le rapport. Elle est citée, avec ses alternatives et aménagement de peine, pour désengorger les prisons, mais va toutefois dans le même sens de contrôle et flicage massif de la population ...
Les problèmes humains sont bien plus graves que les problèmes de rats et de murs dont vous vous repaissez dans ce rapport. Faites plutôt un rapport sur la violence des rapports sociaux en général. Cherchez le mal vers le haut. Proposez d’en finir la violence sociale et les inégalités,les privilèges, les héritages,le système capitaliste. Alors vous n’aurez plus besoin de chercher comment pacifier l’enfermement.

D. Les rebondissements médiatiques, associatifs et juridiques suite à la publication du rapport

Malgré les faiblesses et omissions du rapport, malgré la poursuite de la même politique, on peut tout de même remarquer l’agitation qu’il a créé autour des Baumettes cette semaine, en espérant que les paroles se traduisent en actes concrets et que des changements adviennent pour les détenus (sorties pour certains, amélioration des conditions de vie ...).

  • L’Observatoire International des Prisons a publié un communiqué le 7 décembre.

Il estime que les réponses apportées par la Ministre n’en sont pas et ne sont que des justifications. La circulaire du 19 septembre est insuffisante et de toute façon aucun moyen financier n’y est dédié (pour les alternatives à l’incarcération). De plus, le nombre d’incarcérations a augmenté en octobre et novembre, après la circulaire ... Le renforcement de la répression concernant les auteurs de violence en détention ne fait qu’agir sur les symptômes, pas sur les causes.
L’OIP demande la fermeture des Baumettes.

  • Remarques

Il y a un choix financier et politique à faire entre : construire de nouvelles prisons/ faire une politique alternative, améliorer les existantes/ repenser la justice et fermer les prisons. Les deux (trois ?) sont inconciliables.
La fermeture des Baumettes : provocateur et souhaité par tous les anticarcéraux, mais ce que ça signifie à l’heure actuelle ce serait déplacer les détenus, loin de leurs familles !

  • Manifestation de surveillants le 7 décembre

Pour demander des effectifs supplémentaires (76 personnes en plus). Face à la demande de l’OIP de fermer les Baumettes, le délégué syndical répond le 9 décembre que ça n’est pas souhaitable parce que la prison fait travailler 600 personnes et vivre le commerce de proximité !!!!!!!!!!

  • Communiqués du Syndicat des Avocats de France (SAF) et de la section marseillaise du Syndicat de la Magistrature le 9/12

    Le Syndicat de la magistrature demande :
    • le numérus clausus
    • au parquet de favoriser les aménagements de peine
    • la généralisation du SEFIP (Surveillance Electronique de Fin de Peine = bracelet)
    • de ne plus prononcer de courtes peines d’emprisonnement

Le SAF dénonce la politique conduite ces dernières années, la frénésie du tout carcéral, la multiplication des petites peines, l’allongement des peines et le recours constant à la détention provisoire.
Il demande :

    • la mise en oeuvre de mesure d’aménagement de fin de peine
    • la mise en liberté des détenus en préventive
    • aux avocats de déposer massivement des demandes de mise en liberté et aménagements de peine
  • 10 décembre aux Baumettes

L’OIP , dans le cadre de la journée des droits de l’Homme, s’est rendu aux Baumettes pour distribuer la dernière édition du Guide du Prisonnier (pour faire connaître leurs droits aux détenus et à leurs familles). 20 exemplaires ont été répartis dans 2 bibliothèques. 50 ouvrages en tout doivent être dispatchés mais les autres bibliothèques ne sont pas ouvertes.
La Ligue des Droits de l’Homme et le SAF se joignent à l’OIP pour demander la fermeture des Baumettes.
En parallèle, Aides, la cimade, la LDH, le Centre d’Accueil des Baumettes, des représentants du Conseil national des Barreaux, 5 magistrats du Syndicat de la Magistrature ont été reçus par le directeur des Baumettes et ont visité une partie de la détention.

  • Retours sur cette visite (article de la marseillaise du 12/12)

Le vice procureur de Marseille demande également le numerus clausus, la fin des courtes peines et l’aménagement des fins de peine (- de 4 mois). Le SEFIP permet une grande marge de manoeuvre pour faire sortir les gens de la prison.
Sur 1847 détenus aux Baumettes, 580 sont éligibles au bracelet mais seuls 9 en bénéficient, en vertu d’une convention confidentielle entre l’administration pénitentiaire et le parquet ...
Un juge dit que 600 détenus n’ont rien à faire là (défaut de pension alimentaire, récidiviste de non paiement d’amendes ....) et 50% des détenus aux Baumettes sont en préventive.
Les magistrats "découvrent " l’état de la détention ....

  • 13 décembre : Demande en référé au Tribunal Administratif de Marseille par l’OIP (rejoint par le SAF, l’ordre des avocats de marseille, le conseil national du barreau) d’obtenir les aménagements recommandés par le rapport Delarue ; et au TA de Paris, demande de la fermeture des Baumettes
  • 14 décembre : jugement du Tribunal Administratif de Marseille

Le tribunal ordonne à l’Administration Pénitentiaire que chaque cellule ait un éclairage et une fenêtre en état de fonctionnement. Il faut enlever les détritus, changer les modalités de distribution des gamelles (pas au sol ni à côté des poubelles).
Selon l’avocat de l’OIP, cette décision est une première et donne des obligations à l’administration pénitentiaire. Cependant, le juge n’a donné aucune date et reprend simplement les conclusions du rapport Delarue. Il n’est pas question de la sécurisation des cellules au niveau des installations électriques, ni précisé qu’il faille fermer des cellules en cas de danger avéré. Concernant les risques d’épidémie avec les rats et les insectes, rien n’est indiqué.
Avec le Conseil national des barreaux, l’Ordre des avocats du barreau de Marseille, le syndicat de la magistrature et le syndicat des avocats de France, l’OIP envisage de faire appel de cette décision. Ils ont aussi fait recours de mesure utile déposé en vue d’obtenir la fermeture du bâtiment le plus délabré des Baumettes.

  • Emission d’Envoyé Spécial diffusée Jeudi 13/12, "Mutinerie Silencieuse".

    Il n’y est pas particulièrement question des Baumettes mais de la possibilité pour les détenus de porter plainte et percevoir des indemnités de l’Etat au vu de l’indignité de leurs conditions de détention .... Il me semble qu’avec la publication du rapport, l’ensemble des détenus des Baumettes peut porter plainte.

Sources

7/12 communiqué OIP http://www.millebabords.org/spip.php?article22231

7/12 article le monde et rue 89 http://www.lemonde.fr/societe/article/2012/12/06/les-baumettes-ce-sont-des-oubliettes_1800345_3224.html et
http://www.rue89.com/2012/12/06/prison-des-baumettes-les-rapports-se-suivent-les-rats-proliferent-237606

9/12 réponse surveillants et avocats sur la fermeture des baumettes
http://www.metrofrance.com/marseille/marseille-faut-il-fermer-la-prison-des-baumettes/mlli !P1mRQkR7zus/ et
http://tempsreel.nouvelobs.com/topnews/20121207.REU2433/appel-a-la-fermeture-de-la-prison-des-baumettes.html

9/12 communiqué syndicat magistrature et SAF
10/12 assos et avocats aux Baumettes
13 et 14/12 referé OIP. TA oblige AP à prendre des mesure
http://www.millebabords.org/spip.php?article22233,
http://www.lemonde.fr/societe/article/2012/12/13/l-etat-effroyable-des-baumettes-examine-par-le-juge-des-referes-de-marseille_1805473_3224.html,
http://www.lemonde.fr/societe/article/2012/12/14/baumettes-la-justice-ordonne-une-premiere-amelioration-des-cellules_1806731_3224.html

Autres sources ... Surveiller et Punir de M. Foucault, Les Prisons de la Misère de L. Wacquant ...

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