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Des Nouvelles Du Front

Conjoncture épidémique
crise écologique, crise économique et communisation

Article mis en ligne le vendredi 8 mai 2020

La production capitaliste, qui n’a jamais été « respectueuse » du vivant, a fini par produire dans les années 1970 et 1980, càd bien avant l’épidémie apparue en Chine à l’automne 2019, une crise écologique à la fois globale et permanente , sous la forme d’une pollution généralisée avec détraquement du climat. Cette crise est globale en tant qu’elle menace à terme la reproduction de la biosphère terrestre, dont dépend aussi la vie humaine

CONJONCTURE ÉPIDÉMIQUE

crise écologique, crise économique et communisation

La production capitaliste, qui n’a jamais été « respectueuse » du vivant, a fini par produire dans les années 1970 et 1980, càd bien avant l’épidémie apparue en Chine à l’automne 2019, une crise écologique à la fois globale et permanente (1), sous la forme d’une pollution généralisée avec détraquement du climat. Cette crise est globale en tant qu’elle menace à terme la reproduction de la biosphère terrestre, dont dépend aussi la vie humaine. Elle est permanente en tant qu’elle est intrinsèque à la subsomption réelle du travail et de la nature sous le capital. En d’autres termes, alors même qu’elle représente un problème majeur du point de vue de la classe capitaliste en tous ses États et blocs, elle ne peut pas être effectivement surmontée dans les limites d’une nouvelle restructuration supérieure du rapport d’exploitation à l’échelle mondiale. Par contre, une restructuration supérieure du rapport, intégrant mieux le discours écologiste à prétention radicale, reste possible, comme reste possible une rupture communisatrice dans et contre cette restructuration que la classe capitaliste va tenter d’imposer.

Dans la pandémie de corona-virus se conjoignent deux processus d’abord autonomes, puisque depuis les années 1970 les crises économiques et la destruction continue du vivant n’étaient pas immédiatement liées. Or entre novembre 2019 et mars 2020, une épidémie apparue dans la ville de Wuhan s’est étendue très vite au monde entier, manifestant une fois de plus la gravité de la crise écologique tout en précipitant l’éclatement d’une crise économique majeure, qu’on sentait venir depuis la précédente, contenue mais non surmontée. D’une part, la pollution croissante des terres, des mers, et de l’air, le réchauffement climatique, l’épuisement des sols et la déforestation massive, l’urbanisation folle qui stérilise les terres et rend toutes les villes de plus en plus inhabitables, les épidémies dont la propagation est facilitée par la destruction des barrières naturelles qui limitaient autrefois la circulation des virus, et le bousillage objectif du matériel humain par l’industrie pharmaceutique sont autant d’aspects de la crise écologique permanente, insurmontable dans les limites de la reproduction élargie du capital. D’autre part, en ce printemps 2020, le ralentissement déjà constatable de la production et des échanges, l’exacerbation des tensions entre États et blocs, la nécessité, pour toutes les fractions de la classe dominante, de prendre des mesures cette fois radicales pour relancer l’accumulation sur une base plus « saine », et leurs tentatives prévisibles pour nous embarquer dans leurs conflits internes définissent la crise économique en cours, qui marquera de toute façon la fin du cycle ouvert dans les années 1970, sinon la « crise finale » du système. Car cette conjoncture épidémique de la destruction continue du vivant et de la crise de reproduction actuelle du capital, c’est d’abord à nous, prolétaires et communistes, de l’affronter, en théorie comme en pratique. Non parce que nous serions révolutionnaires par nature, mais parce que dans cette conjoncture nous sommes tous et toutes dans leur collimateur.

Contrairement à ce qu’a soutenu Camatte, quand il a théorisé la fuite hors de la communauté matérielle du capital, il n’y a pas d’errance de l’humanité (2), parce que les êtres humains, d’emblée divisés par le rapport social de genre, n’ont jamais existé que sous des modes et rapports de production de la vie matérielle socio-historiquement déterminés. La dégradation du milieu naturel terrestre apparaît, sous des formes limitées, sur des territoires parfois très vastes mais à un rythme très lent, bien avant la constitution du mode de production capitaliste. Mais pour que la production de la vie matérielle des nombreux groupes humains qui ont peuplé la Terre puisse devenir tendanciellement destructive de ce milieu, il faut que le capital s’établisse comme mode de production dominant et s’impose dans son développement à toute la planète, au prix de la destruction des anciens modes de production et de l’intégration ou de l’extermination des peuples non encore formellement soumis à l’esclavage salarié. Dans ce processus, qui débute lors de l’accumulation primitive du capital mais se développe seulement une fois la production capitaliste établie en Europe de l’Ouest et en Amérique du Nord, au début du 19° siècle, on peut dégager deux moments décisifs. D’abord, la subsomption réelle du travail et de la nature sous le capital, qui s’effectue autour de la Première Guerre mondiale, avec la mise en place de l’organisation scientifique du travail dans tous les pays développés et l’achèvement de la colonisation du monde par les puissances européennes. Ensuite, la production de la crise écologique globale, qui correspond au développement d’un nouveau cycle d’accumulation et de luttes, càd, d’abord, à une restructuration mondiale du rapport d’exploitation, dans les années 1970 et 1980, supprimant tout ce qui fondait encore l’identité ouvrière et donc l’affirmation de la classe, au niveau de l’usine comme de la société.

Mais si la crise écologique s’est produite au cours de la dernière restructuration capitaliste, on peut se demander pourquoi les groupes issus après 1968 de l’ultragauche française ne l’ont pas intégrée dans la problématique de la communisation, comme abolition révolutionnaire sans transition du capitalisme. Fondé en 1977, le groupe Théorie Communiste a bien compris que cette restructuration destructive du « vieux mouvement ouvrier » impliquait la reproduction de la contradiction prolétariat / capital sous une forme où le prolétariat tend à produire son existence de classe comme contrainte extériorisée dans la classe capitaliste (3). Mais ni TC ni aucun autre groupe théorisant la communisation n’a compris que la restructuration incluait dès l’origine la production d’une crise écologique à la fois globale et permanente. En effet, la manière dont s’est présentée d’abord la contre-attaque capitaliste comme la contestation généralisée qui s’est produite avec la défaite ouvrière ont pour ainsi dire fait s’évanouir le problème avant même qu’il soit posé. D’une part, la classe capitaliste n’a pas tenu compte du rapport d’experts paru en 1972 sous le titre The Limits To Growth (Halte à la croissance !) : elle a relancé l’accumulation en s’attaquant d’abord aux rigidités du travail sur la chaîne mondiale, sans se soucier ni d’épuisement des ressources (matières + énergie nécessaires à la production) ni de pollution généralisée (destruction tendancielle de la biosphère). D’autre part, les luttes (interclassistes) menées sur le front de l’écologie politique – notamment contre la production d’énergie nucléaire – se sont vite enlisées dans l’idéologie réformiste de la décroissance, car elles mettaient en cause abstraitement le productivisme, non la production de survaleur, le capital comme valeur en procès. Enfin, il faut ajouter à ces deux facteurs spécifiques un facteur plus général. Pensant la communisation au présent des luttes quotidiennes du prolétariat agissant strictement en tant que classe, TC, avait non seulement à combattre l’idéologie bourgeoise de la fin du prolétariat mais aussi l’idéologie révolutionnaire de la communisation à titre humain, ce qui l’empêchait, au moins dans un premier temps, d’intégrer à son travail un problème a priori susceptible de mettre en cause la cohérence de la théorie en cours d’élaboration.

Dans les limites de la reproduction élargie du capital, la crise écologique n’est pas surmontable. En effet, le capital est production pour la production, tendance corrigée de façon récurrente par les grandes crises économiques scandant la succession des cycles d’accumulation mais s’affirmant à nouveau dans chaque restructuration. Autrement dit, la reproduction élargie de la valeur capital en procès implique une production croissante de matières et d’énergie (capital constant = moyens de production, notamment la machinerie) et de produits de consommation (capital variable = salaire = produits nécessaires aux travailleurs). Et comme la baisse tendancielle du taux de profit moyen n’est compensée par la hausse tendancielle du taux d’exploitation qu’au prix d’une hausse relative du capital constant bien supérieure à celle du capital variable, il en résulte en même temps une aggravation constante de la dégradation du milieu naturel vivant et une aggravation constante de la situation sociale du prolétariat par rapport à la classe qui l’exploite. Certes, la classe exploiteuse ne peut pas éviter d’intégrer au moins formellement dans ses calculs la dégradation catastrophique de la biosphère et d’abord dans la mesure où cette dégradation affecte le travail global qu’elle pose comme nécessaire à la valorisation maximale du capital global accumulé. Elle doit par exemple réfléchir aux moyens de préserver la force de travail, donc de limiter l’impact des épidémies à venir, sachant qu’elle ne peut plus empêcher la propagation accélérée des virus. De même, elle doit réfléchir aux moyens de limiter l’impact déjà notable de l’urbanisation et de l’épuisement des sols sur la production de nourriture. Cependant, sa compréhension de l’ensemble des problèmes dits écologiques n’est jamais que formelle, car elle ne peut pas mettre en cause la production continue de survaleur. La crise écologique n’est pas la contradiction du capital, qui reste l’exploitation – ou plutôt les deux contradictions se construisant l’une l’autre de l’exploitation de classe et de la division de genre – mais la lutte de classe du prolétariat, toujours embarrassée de surdéterminations (comme la racisation), est désormais surdéterminée aussi par le fait que la reproduction du capital menace la reproduction de la vie humaine.

Dans la conjoncture épidémique présente, les communistes ont certes besoin d’une vision politiquement active du clivage qui peut s’opérer, au ras du vécu, entre les classes. (4) Clivage à l’intérieur des populations confinées, entre les prolétaires, hommes et femmes, dont une large part est dans tous les pays réquisitionnée pour bosser – à l’usine, au supermarché, à l’hôpital – et les capitalistes, qui s’efforcent de préserver leurs conditions d’exploitation immédiates tout en cogitant sur les moyens de relancer l’accumulation, au-delà de la purge nécessaire du capital fictif. Cependant, nous ne pouvons pas aller plus vite que le vent, même s’il souffle déjà très fort. D’une part, l’épidémie Covid apparaît immédiatement comme une perturbation extérieure à la société globale : non seulement à la classe capitaliste, mais aussi à la masse du prolétariat et même à la plupart des révolutionnaires. D’où l’adhésion formelle des prolétaires au confinement, pourtant critiquable non seulement d’un point de vue communiste mais même d’un point de vue scientifique, et les formules radicales abstraites du genre « tout est lié au mpc ». (5) D’un point de vue communiste, le désir des prolétaires dont le travail est jugé essentiel de rester chez eux, à toucher leur salaire sans bosser, se comprend fort bien, mais participe à l’atomisation du prolétariat, donc à la paix sociale dont la classe ennemie a besoin pour restructurer. D’un point de vue scientifique, on peut se demander si le confinement est vraiment utile pour contenir une épidémie, poser en principe qu’il faut toujours identifier très vite les porteurs de virus et imposer des quarantaines ciblées, et constater qu’en fait les autorités sanitaires, passant de l’inaction à la panique, ont confiné faute de mieux. (6) D’autre part, si le confinement plus ou moins général des populations est plus un aveu d’échec sanitaire des États qu’une réponse rationnelle à l’épidémie et s’il ne peut pas être indéfiniment maintenu au même niveau très élevé qu’il a atteint en Chine et même, dans une moindre mesure, dans plusieurs États européens, le déconfinement risque d’être partiel et sélectif. À cet égard, la critique de l’analyse des camarades chinois de Chuang par les camarades italiens de Lato Cattivo (7) est elle-même critiquable : une expérience de contre-insurrection peut être menée dans les conditions de l’épidémie, à titre préventif. En Chine comme en Europe ou en Amérique, not so great again, l’État, séparé de la lutte des classes pour mieux y intervenir, n’a pas besoin d’avoir une stratégie toute prête : la contre-insurrection, c’est comme la restructuration, ça se bricole au fil des luttes, contre les prolétaires.

« Tu veux savoir si t’as le corona ? Crache sur un bourgeois et attend ses résultats ! Solidarité avec les travailleuses. » Ce message bombé sur un drap dans le centre de Marseille dit bien dans quelle voie nous sommes forcé(e)s de nous engager, sous peine de crever, non du fait de « l’ennemi invisible » mais du fait de notre ennemi très visible et actif : la classe capitaliste. Nous avons tous et toutes grand besoin de sortir. Non pas seulement pour aller bosser, pour faire la queue à l’entrée du supermarché, ou pour faire un peu d’exercice chacun-e dans son coin, non pas même pour nous faire tester (bien que ça ne fasse pas de mal), mais pour nous battre tous ensemble contre l’exploitation très aggravée qu’ils sont en train de nous imposer. De l’air ! Mort à la peur ! Mort à l’Union sacrée sanitaire !

FD

11 avril 2020
Source : http://dndf.org/?p=18482

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