Marseille, le 5 décembre 2007
Monsieur le Préfet,
A mon tour je me permets d’attirer votre attention sur l’extrême gravité de la décision d’expulsion que vous vous apprêtez à prendre à l’encontre de Monsieur Ferzende TASTAN. Le Réseau Régional Réfugié auquel participe Médecins du Monde vous a déjà signalé le destin de ce Kurde de nationalité turque arrêté en novembre 2000 et ayant fait l’objet d’un requis de 12 ans de prison par le Troisième Tribunal de Sûreté de l’Etat basé à Istambul.
Incarcéré pendant 25 jours à la prison de Métris, M. Tastan devait être transféré à celle de Kikiareli. Pendant les 19 mois de cette seconde détention, il a été torturé à plusieurs reprises, comme c’est couramment le cas dans les prisons turques.
Il s’agit là d’une situation que je prétends bien connaître pour être responsable d’une "mission droits de l’homme" en Turquie où Médecins du Monde est présent depuis plus de cinq ans. J’y pars d’ailleurs demain pour faire une communication sur les traumatismes psychiques secondaires aux incarcérations de longue durée et au régime d’isolement pratiqués dans les prisons turques et ceci dans un colloque international organisé à Istambul par l’association IHIV.
Comme vous l’indique le document ci-joint que je viens de recevoir de notre correspondante locale et que je vous livre tel que je l’ai reçu, la situation est ces jours-ci tout spécialement tendue avec la reprise des hostilités au Kurdistan turc de part et d’autre de la frontière avec l’Irak. Non seulement l’attitude des autorités gouvernementales, police et armée , est en ce moment particulièrement répressive à l’encontre des Kurdes, mais il s’est développé dans la société civile une kurdophobie qui se traduit par des agressions journalières contre les personnes et les biens. Le moment est donc mal choisi, vous le comprendrez sans peine pour expulser un réfugié dans son pays d’origine.
C’est la raison pour laquelle il m’est apparu de mon devoir de vous avertir des dangers qu’il encourt et de faire appel à votre sens des responsabilités.
A toutes fins utiles, je me permets de communiquer cette lettre à la presse.
En vous remerciant par avance de l’attention que vous voudrez bien porter à cette démarche, je vous prie de croire, Monsieur le Préfet à l’expression de mes sentiments respectueux.
Docteur Bernard GRANJON
Ancien Président de Médecins du Monde.