XI. Parler à l’oreille des dieux
Derrière le presque parfait conformisme des Indiens, nous avons noté quelques accrocs, des « éléments perturbateurs », qui sont autant d’indices d’une pensée différente. En Europe, l’Église catholique devait se confronter à ce qu’elle appelait des hérésies : une pensée chrétienne qui critiquait le dogme catholique ; elle devait aussi s’adapter peu à peu au monde moderne, qui émergeait et qui critiquait de plus en plus ce qu’il considérait comme des archaïsmes trop bien tolérés par la religion catholique (ce côté paganisme « chrétien » des communautés paysannes par exemple). Dans le cas de la rébellion de Cancuc, elle se trouve face à une pensée non chrétienne qui ne prend pas une position critique par rapport au culte catholique. C’est une pensée critique hors du champ de la pensée chrétienne. Les hérésies, ou ce qui fut considéré comme tels, les cathares, les albigeois, les apostolici, les taborites, les millénaristes, puis les luthériens et les calvinistes, sont porteurs d’une pensée critique qui reste dans le champ de la pensée chrétienne occidentale ; ce n’est pas le cas ici avec la pensée mésoaméricaine. Dans le monde occidental même, nous pouvons déceler aussi une confrontation entre deux formes d’appréhension de la réalité, un mode d’appréhension reconnu officiellement, attaché à la sphère du pouvoir et dont la religion chrétienne se fait la propagandiste, et un mode plus clandestin, se développant en marge du pouvoir comme la sorcellerie héritée du paganisme. La sorcellerie n’est pas à proprement parler une hérésie, c’est une forme d’appréhension du monde qui a résisté tant bien que mal à la propagande chrétienne...
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