Une tribune pour les luttes

Ministre du démembrement des familles ... "avec humanité"

Par RESF

Article mis en ligne le dimanche 16 février 2014

16 février 2014

Mostapha BENTAHER passera en comparution immédiate demain lundi 17 février devant la 23e chambre du Tribunal de Grande instance (TGI) de Paris, suite aux incidents qui ont eu lieu au Centre de rétention (CRA) de Vincennes dans la nuit du jeudi 13 au 14 février : en pleine nuit, un retenu devait être conduit à l’aéroport, il a refusé de quitter le CRA. D’autres retenus se sont solidarisés avec lui, s’enfermant dans les cellules, semble-t-il, d’où l’intervention de la police et, disent les policiers, des dégradations. Une réaction qui traduit le désespoir d’hommes, de femmes, d’enfants dont on brise l’existence « avec humanité  » comme se plaît à le répéter le ministre du démembrement des familles, Manuel Valls.

Le retenu qui devait être expulsé l’a été. Suite à ces incidents, Mostapha a été placé en garde à vue, vendredi 14 en fin de matinée. Depuis, Caroline, sa compagne française, avec il habite et qui attend un enfant de lui, est sans aucune nouvelle. Ayant appris ce dimanche auprès du greffe que Mostapha comparaitra demain, elle a sauté dans un train pour être à ses côtés à l’audience.

Elle avait rédigé le témoignage qui suit à destination du Juge des libertés et de la détention devant lequel son compagnon a déjà été traduit.

M.R.


Le cœur a ses raisons que l’administration ignore.

Mostapha entretient depuis janvier 2011 une relation stable avec Caroline, ressortissante française à qui il n’a jamais caché sa situation administrative.
Aujourd’hui Caroline est enceinte. Mais au lieu de préparer l’arrivée de leur premier enfant, elle se bat pour empêcher l’expulsion de son compagnon, placé depuis le 26 janvier 2014 au centre de rétention de Vincennes.

Elle témoigne.

Bordeaux, le 10 février 2014

Madame, Monsieur Le Juge,

Par cette présente, permettez-moi de vous exposer la situation de mon conjoint, Mostapha. C’est donc en tant que conjointe et femme Française que je me donne le droit de vous écrire. C’est également dans l’espoir que cette lettre trouvera compréhension.

Arrivé il y a treize ans en France, Mostapha n’était pas de ceux que les rêves de richesses animent, il n’était pas non plus de ceux que la vie épargnait. Né au Maroc, il a dû très jeune se substituer professionnellement à son père, victime d’un accident de voiture.

A douze ans, Mostapha travaille dans le modeste garage de son père, l’argent n’est pas en abondance, mais permet au moins de financer les soins et médicaments dont son père a besoin.

Alors Mostapha grandit. Il ne va plus à l’école, sans lui, sa famille n’aurait plus les moyens de (sur)vivre, mais une autre école va lui offrir une éducation, celle de la vie.

Cette vie, Mostapha va s’efforcer de la dompter, jour après jour. Et puis, un jour, cette école lui fait prendre conscience qu’il est un Homme.

« Vous êtes nés avec un potentiel. Vous êtes nés pour la bonté et la confiance. Vous êtes nés avec des idéaux et des rêves. Vous êtes nés pour accomplir de grandes choses. Vous êtes nés avec des ailes. Vous n’êtes pas faits pour ramper, alors ne le faites pas.

Vous avez des ailes. Apprenez à les utiliser et envolez-vous. » Rûmi, 1207-1273

Si cette situation du poète Rûmi a été écrite au 13ème siècle, ne trouvez-vous donc pas qu’elle résume tout Homme, de toute époque, de toute confession, de toute localisation géographique ?

Alors, Mostapha, décide, un soir, d’utiliser ses ailes, de s’envoler, du haut de ses 21 ans, il a déjà bien trop rampé. Il ne dira rien à sa famille, le lien qui les unit est bien trop fort pour faire des au revoir, et puis la vie a fait de lui quelqu’un de beaucoup trop digne pour montrer sa tristesse, sa peur aussi...

Mostapha s’est donné pour la première fois, le droit de rêver. Rêver à un avenir, un avenir à lui, une vie à construire, loin de lui ce ressenti de la subir. Nous, nous rêvons de devenir médecin, pompier, coiffeuse, aviateur, lui, seulement d’effleurer la liberté.

Quitter ce pays, avec dans sa valise d’espoir, des souvenirs. Il pleure alors un rêve qui prendra vie une fois ce voyage accompli. A ce point, même la mort n’est plus entrave.

Mais dans ce voyage, un jeune Homme va naître, un jeune Homme va enfin dire « Je t’aime » à cette vie. Alors Mostapha part, part vers ce pays qui fera de lui un Homme.

Janvier 2011, notre première semaine de relation, Mostapha me fait part de sa situation administrative. Mais, est-ce que les liens, les sentiments, les échanges et le rapport aux Autres doivent être contrôlés ?

Nous avons construit notre vie de couple comme deux personnes qui veulent croire en l’autre, croire en la vie à deux. De nous deux, seule une rue nous sépare, afin de concrétiser notre relation, nous décidons de partager le même toit. Nous sommes alors heureux dans un petit 23 m2.

Mostapha travaille dès qu’il le peut. Certes, quelques fois, la situation administrative l’empêche d’être déclaré mais au moins, il ne tombe pas dans la facilité et l’illicite.

Nous sommes conscients que la situation administrative de Mostapha ne peut rester en l’état.

Une solution rapide s’offre à nous : le Mariage. Le Mariage. Le mot le plus associé aux « sans-papiers ». Mais Mostapha et moi refusons que notre amour soit taxé d’inexistant, que des doutes, des jugements lui soient portés de par cette situation administrative.

En plus des différences culturelles et des jugements auxquels nous devons faire face au quotidien, il est pour nous inconcevable de changer notre vision commune du couple, de son évolution et ce, dans l’unique but d’obtenir des « papiers ».

En juin 2012, nous apprenons que nous serons bientôt 3. Cette grossesse n’a pas été planifiée mais fut accueillie avec tout le bonheur et la joie que cet événement peut procurer à deux personnes qui s’aiment réellement. A trois mois de grossesse, nous avons perdu l’enfant. Cet événement a été très douloureux mais nous en sommes ressortis plus forts et plus unis.

Aujourd’hui, nous ne pouvons penser une seule seconde être séparés l’un de l’autre.

Nous apprenons de nouveau que nous allons être 3. Cette fois ci, nous restons réservés. Nous n’achèterons aucun vêtement ni peluche avant la venue réelle de cet enfant. Nous ne voulons pas non plus prendre en otage cette grossesse pour avoir comme rançon la remise en liberté de Mostapha. Mais une chose est certaine, cet enfant ne pourra pas grandir sans son père. Cet enfant n’entendra jamais que l’absence de son père résulte du manque d’amour qu’il lui porte mais simplement du manque d’amour que son pays porte à l’Humanité.

Cela fait 3 ans que nous sommes en couple, nous avons des projets de vie de famille, d’union.

Une situation administrative qui ne relève en rien d’un délit, ne peut pas nous enlever tout ce que nous avons construit durant ces trois années et ce que Mostapha a construit depuis 13 ans.

Sa vie est accrochée à mon visage, et la mienne au sien.

Depuis le 26 janvier 2014, Mostapha a été placé au centre de rétention de Vincennes.

Nous sommes conscients que sa situation administrative actuelle peut justifier ce placement.

Cependant, il est inconcevable d’imaginer une reconduite à la frontière à l’issue de cette rétention.

Cela fait treize ans que Mostapha vit en France. Treize ans à être « sans-papiers », sans identité... Mais c’est aussi treize ans qu’il se construit, que l’Homme né à l’issue de ce voyage est devenu Homme à part entière. Et même si la situation irrégulière dans laquelle il se trouve depuis ces trop longues années n’est pas des plus simples tous les jours, Mostapha a une chose, la dignité et la liberté.

Madame, Monsieur Le Juge, nous n’avons malheureusement pas les moyens de financer les savoir-faire d’un avocat, c’est donc également pour cela, que je vous demande et ce, le plus sincèrement qu’il soit, de prendre en considération cette lettre.

Je vous prie d’agréer, Madame, Monsieur Le Juge, l’expression de ma profonde reconnaissance.

Mademoiselle B. Caroline


13 février :

Pétition

Chers amis,

Depuis le 26 janvier 2014, Mostapha a été placé au centre de rétention de Vincennes.
Nous sommes conscients que sa situation administrative actuelle peut justifier ce placement. Cependant, il est inconcevable d’imaginer une reconduite à la frontière à l’issue de cette rétention.

Madame, Monsieur, en signant cette pétition, stoppons ce sentiment grandissant. Celui de croire que "la liberté était là, il y a quelque temps, que l’égalité la prise par la main et qu’elles sont parties avec le vent".
Madame, Monsieur, les lois administratives ne nous ferons pas croire en cette phrase, pas tant que nous seront citoyens du monde.

Pour en savoir plus, pour prendre connaissance d’un extrait du courrier envoyé au Juge et pour signer la pétition, cliquez ici :
http://www.mesopinions.com/petition/droits-homme/remise-liberte-mostapha-bentaher/11466

Mille fois merci pour lui,

Le groupe de Soutien à Mostapha.

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