22 janvier 2014 | Par RESF - Mediapart.fr
URL source : http://blogs.mediapart.fr/blog/resf/220114/chronique-d-un-ordinaire-gachis
Tribunal administratif de Melun 21 janvier 2014, une audience parmi d’autres. Six étrangers amenés du centre de rétention du Mesnil-Amelot, une femme, cinq hommes, jeunes, certains très jeunes, à peine plus de 18 ans, escortés par sept policiers, jeunes aussi qui, de 9 heures à 17 h ne vont rien faire, si ce n’est attendre, surveiller vaguement, bavarder beaucoup, jouer sur leur téléphone, tuer le temps. Du gâchis ! Presque deux heures avant que l’audience ne débute, le temps que les avocats consultent les dossiers et fassent connaissance de leurs clients. Entrée de la greffière et de la présidente, jeune elle aussi. Assis, debout, assis, que l’audience commence.
Premier acte, un marocain, environ trente-cinq ans, arrivé en France en 2009. Toute sa famille, son père, sa mère, ses frères et sœurs sont ici, à l’exception d’une sœur mariée au Maroc et d’un frère installé en Belgique. La préfecture prend prétexte du fait que Rachid aurait vécu au Maroc jusqu’à l’âge de 28 ans pour prétendre l’y réexpédier, occultant délibérément le fait que son père, en France depuis longtemps, n’a obtenu le regroupement familial et n’a pu faire venir sa femme que très tardivement, alors que Rachid était déjà majeur. C’est lui faire payer deux fois l’incurie volontaire de l’administration française : une première fois par les années de retard dans le regroupement familial, une seconde en prétendant l’expulser au prétexte de sa venue tardive ! Une politique de brute au service d’un gâchis humain et social.
Deuxième cas, un jeune homme encore, algérien ou marocain, en France depuis neuf ans, dont le père, en France depuis 45 ans, est français. Il a un logement à son nom, le même travail depuis 2006, des fiches de paye depuis cette date et une promesse d’embauche de son patron. Deux précisions : il est ouvrier boulanger à Meaux, la boulangerie proche du Palais de justice. Il a été arrêté lors d’un contrôle routier à une heure du matin, alors qu’il allait livrer un hôtel. Si au nom de la chasse aux étrangers, on expulse les boulangers de Meaux, quels croissants mangera le maire, Jean-François Copé ? Un gâchis
Client suivant : un étudiant guinéen qui, atteint de drépanocytose, a pris du retard dans ses études de droit. Excellent prétexte pour le préfet des Hauts de Seine : l’expulsion en guise de thérapie. Et tant pis si cinq étudiants de son université (Paris VIII St-Denis) ont fait le déplacement jusqu’à Melun pour manifester leur solidarité à leur camarade et leur désir qu’il reste auprès d’eux.
Au suivant ! Ou plutôt, à la suivante ! Une jeune femme brésilienne en France depuis 2007, mère d’une élève de CM2 présente à l’audience avec son père. L’avocate de la préfecture des Yvelines se montre odieuse, insistant lourdement sur le fait que Gisèle aurait utilisé une fausse carte d’identité portugaise pour travailler et ouvrir un compte postal. La belle affaire ! L’avocate aurait peut-être préféré qu’elle mendie, vole ou se prostitue ? Quant à la scolarité de l’enfant, elle est quantité négligeable : puisqu’elle parle portugais avec sa mère, elle peut tout aussi bien aller à l’école au Brésil. On souhaite aux enfants de cette avocate que leur mère traite leur vie et leur scolarité avec moins de désinvolture irresponsable !
Vient ensuite le cas d’Ali, tunisien d’à peine 18 ans, arrivé chez sa sœur il y a un an, inscrit dans une formation préparatoire à un CAP de plomberie. En droit, il n’a pas grand-chose pour lui mais il a plein d’illusions, un grand sourire de gosse et l’espoir de poursuivre sa formation. Un peu juste, quand c’est Hollande qui préside et Valls qui exécute.
Reste enfin un Mauritanien de 20 ans, vivant en Espagne et venu rendre visite à des cousins dans l’Indre. Menacé d’expulsion vers la Mauritanie !
Deux heures et demie plus tard, rendu des décisions : quatre retenus sur six libérés. Rachid, le marocain dont toute la famille est en France est libre. Meaux et son maire récupèrent leur boulanger, la préfecture étant en outre condamnée à lui verser 400 €. Libéré, l’étudiant guinéen rejoint ses copains de Paris VIII (avec 400 € versés par le préfet du 92). Quant à Gisèle, la brésilienne libérée, elle sanglote de joie dans les bras de son compagnon et de sa fille !
Les deux jeunes, le tunisien et le mauritanien, arrivés récemment en France, sont, eux, maintenus.
On a honte de devoir se réjouir quand une magistrate humaine et courageuse libère quatre retenus et en maintient « seulement » deux en rétention. Sentiment de gâchis pour ceux qui sont maintenus, aussi pour ceux qui ont été libérés après des jours d’angoisse dont on se remet si difficilement et même pour toutes celles et ceux qui, à une place ou une autre, participent à ces séances pathétiques où de l’énergie, du temps, des moyens énormes sont gaspillés pour chasser des hommes et des femmes, jeunes, débrouillards, entreprenants qui pourraient tant apporter à la société. Qu’on expulse à grands frais et qui, pour beaucoup, reviendront.
Richard Moyon
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CRA-CRA info
2014, le droit des étrangers dans notre pays est le meilleur indicateur de notre démocratie...
L’immigration n’est pas, hélas, que le fantasme de l’extrême droite...
Hier soir, mercredi 22 janvier 2014, une famille tchétchène a été enfermée, de la LOIRE, au CRA de Nîmes, avec un enfant né en août 2011. Dès ce matin, les juristes cimade posent un recours.
Vendredi 28 décembre 2013, seul devant le juge, un jeune est prolongé de 20 jours, c’est en cour d’appel que son avocate le défend et le libère du CRA.
Lundi 30 décembre 2013, peu de personnel au CRA, délibérations : 7 retenus sont enfermés.
Mardi 31 décembre 2013, 12 retenus sont transférés du CRA de Lyon, incendié, au CRA de Nîmes... La préfecture en libère 2 le WE, les 10 autres seront libérés le lundi et le mardi suivant sur l’article 13. "Bonne année 2014" !
Depuis le début de l’année, l’enfermement reprend de plus belle, avec 4 retenus enfermés par jour.
Vendredi 10 janvier 2014, 35 retenus sont enfermés au CRA, pas de femme.
Mardi 14 janvier 2014, 15 hommes restent au CRA. Une jeune roumaine est enfermée.
Dans la nuit, rafle de 4 roumaines à Béziers. Elles ne veulent pas accepter leur reconduite à la frontière. Les juristes cimade posent un recours au TA : Tous rejetés malgré les cas de "double peine" attestée !! Elles seront reconduites.
Jeudi 16 janvier 2014, cela devient une habitude au TA, le recours d’un jeune afghan est rejeté !
Samedi 18 janvier 2014, le JLD libère une jeune femme.
Lundi 20 janvier 2014, 30 hommes sont enfermés, pas de femme. Un jeune maghrébin est libéré.
P.
Vos commentaires
# Le 23 janvier 2014 à 12:19 En réponse à : Chronique d’un ordinaire gachis Par RESF
Le CRA de Marseille est plein en permanence. Les audiences au JLD ou TA sont déprimantes : les juges s’asseyent le plus souvent allègrement sur la loi !