Une tribune pour les luttes

De qui Macron est-il l’ami ?

Article mis en ligne le samedi 24 décembre 2022

Marseille, place des Réformés, 14h. Les Kurdes de Marseille, ceux et celles qui ont trouvé à se libérer de leur travail ou de leurs obligations, se sont rassemblé·es pour dire à leur pays d’accueil qu’ils et elles attendent vérité et justice sur ce nouveau crime commis à leur encontre. Aussi pour se réconforter – plusieurs personnes ont la larme à l’œil, et comptaient peut-être des gens connus ou familiers parmi les victimes de la rue d’Enghien. Et enfin pour dire leur exaspération d’être des cibles… Ils et elles sont rejoint·es par quelques soutiens de la cause kurde.

Après une rapide prise de parole liant dans un même souffle le motif raciste des meurtres qui viennent d’avoir lieu à Paris et l’interminable martyre de leur peuple aux mains d’Erdogan, les Kurdes de Marseille forment un cortège et descendent la Canebière, en direction de la Préfecture.

Quelques heures plus tôt, un quasi-septuagénaire a froidement abattu deux personnes, en blessant six autres, dont l’une mourra peu de temps après, portant le bilan de l’attaque à trois mort·es. Lesté de six chargeurs, pistolet au poing, il a arrosé de balles les personnes qui se trouvaient à l’extérieur du Centre démocratique kurde (CDK-F) de la rue d’Enghien (Paris 10e), ainsi que les client·es du restaurant kurde qui lui fait face. Six chargeurs, c’est plus de 70 balles. Autant dire que l’intention de massacre est évidente de la part de cet homme dont on sait qu’il a été deux fois condamné pour violences avec arme, à l’encontre de personnes racisées (dont l’attaque au sabre d’un campement de réfugié·es…).

Le cortège qui avance vers la Préfecture de Marseille, comme toujours avec les militant·es kurdes, est discipliné et digne, entonnant les habituels slogans antifascistes à l’encontre du régime turc, ou en soutien à Abdullah Öçalan. Il n’y a pas de débordements, ni de paroles déplacées. Ça n’est pas du tout le style.

La manifestation n’étant pas interdite, la police escorte le cortège et fait la circulation. Nous nous faisons la réflexion qu’un jour comme celui-ci il n’y a aucune chance que la police nous bouscule : il vient d’y avoir trois mort·es kurdes, un peu de respect…

Nous débouchons à l’angle de la Préfecture. Les flics ont formé un cordon de CRS, flanqué d’éléments de la BAC. En une minute, c’est joué. Un camarade s’effondre, la tête en sang. Une gazeuse est déchargée sur le premier rang de la manifestation. Les gens se mettent à crier, complètement sidérés par le comportement de la police, et lui demandent des comptes : « qu’est-ce qui vous prend ? On vient discuter et manifester pacifiquement ! ». Le ton monte, les flics nous matraquent, et gazent de nouveau… Il faut maîtriser un camarade kurde fou de rage de s’être fait frapper sans raison ni explication.

Sans sommation

Car il n’y a eu aucune sommation, aucune discussion, ni même une demande de dispersion.

Nous sommes arrivé·es à la Préfecture et nous avons été fracassé·es, gazé·es, matraqué·es.

Les agents de la BAC nous délogent à coups de pied, s’acharnent sur un blessé tombé à terre, que des camarades couvrent de leur corps.

Les gens autour de nous sont fous de douleur et de colère. On nous tue par balles à Paris et quand nous voulons exprimer notre douleur ici, on nous réprime dans le sang ?

Il faut toute la force et la patience des cadres femmes et hommes du CDK de Marseille pour calmer les esprits. Un semblant d’ordre à peine revenu, voilà qu’arrivent huit camions de CRS, pour la centaine de manifestant·es que nous sommes encore. Cela ravive immédiatement les indignations, et la colère. Des lacrymos volent dans un sens, des cailloux et des bouteilles dans l’autre…

Comme toujours sous Macron, la réponse unique à tous les problèmes est la répression. Pas de négociation, pas de possibilité d’allocution sous les fenêtres de la Préfecture, ou de délégation pour discuter sous les lambris de la République. À une autre époque pas si lointaine, une consigne évidente d’humanité aurait été donnée à toutes les préfectures, commissariats, et gendarmeries de France : « Allez-y doucement avec les Kurdes, ils viennent de subir un attentat meurtrier. N’oublions pas que c’est grâce à elles et eux que Daech a été vaincu. Parmi les manifestant·es il y a des hommes et des femmes qui ont perdu des fils et des filles en Syrie et en Irak. Respectez leur douleur. ».

Autant pour la dignité de l’État français et de ses serviteurs. Autant pour son humanité. Autant pour le respect des personnes, et surtout des Kurdes : allié·es quand ça arrange, encombrant·es quand l’homme fort d’Ankara donne de la voix, soumettant l’Europe à sa politique moyen-orientale, ou faisant la pluie et le beau temps dans l’OTAN [1].

De qui Macron est-il l’ami ?

Le ton parmi les manifestant·es gazé·es et matraqué·es a changé : les flics sont devenus « les chiens de Macron » et un nouveau slogan tourne : « Erdogan assassin, Macron complice »… L’exaspération est à son comble : « Pour vous défendre, vous savez nous trouver… », voilà ce qu’on entend alors, place de Rome, à Marseille.

Nous ne le savons pas à ce moment mais il se passe des scènes semblables dans le 10e arrondissement de Paris : on ne peut que constater la cohérence de la répression du mouvement kurde.

Dans quelques jours, le 7 janvier, sera commémorée la funeste date de l’assassinat par les services secrets turcs de trois militantes kurdes : Layla, Sakine, Rojbîn. Elles ont été tuées en plein Paris, il y a dix ans maintenant, mais, notamment parce que la France refuse de lever le secret défense, l’enquête n’a pas avancé d’un pouce…

Nous savons de qui Macron est l’ami.

UCL Aix-Marseille, le 23 décembre 2022.

[1] En échange de sa non opposition (avec son droit de veto) à leur entrée dans l’OTAN, Erdogan a exigé de la Suède et de la Finlande qu’elles lui livrent des opposant·es politiques ressortissant·es turcs, notamment kurdes, qui avaient trouvé refuge dans ces pays.

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