Dans les eaux glacées du calcul égoïste
Comment ne pas attribuer la responsabilité de la crise sanitaire qui sévit actuellement sur l’ensemble de la planète au capitalisme ! La destruction des habitats naturels, la promiscuité entre les espèces, le dérèglement écologique, la pollution de l’air et des océans, l’exploitation extrême des ressources naturelles, la destruction des milieux naturels et du vivant, ne peut que favoriser l’apparition de nouveaux virus.
Pourtant, face à cette menace, l’accumulation illimitée du capital poursuit sa course folle à la recherche de la pierre philosophale... : comment transformer 1 euro en 1,5 euros au prix de l’évidente destruction de la planète ? Malheureusement, préserver la vie n’est pas dans l’agenda des possédants.
Leur discours est unanime : « Comme jamais auparavant, les entreprises doivent repenser leurs structures pour obtenir un avantage concurrentiel dès la fin de la crise. Cette stratégie implique de nombreuses actions et des défis de taille, mais le retour aux modèles traditionnels est désormais impensable. » (tinext.com.fr). Si cette pandémie nous prouve que l’homme n’a pas le contrôle absolu sur l’univers, les patrons, avec leur arrogance habituelle prétendent régner en maîtres sur l’entreprise.
Dans ce contexte de crise sanitaire, La Poste, assume complètement ses choix économiques et politiques. La montée en capital de la CDC (Caisse des dépôts et consignations) et le rattachement de la CNP (CNP Assurance) à la Banque Postale bouleversent l’entreprise publique et accélèrent la transformation profonde des métiers.
Malgré cette pandémie, l’entreprise publique réaffirme donc sa volonté de faire du « profit à tout prix » sa force déterminante. Les missions de service public, la santé et la sécurité des personnels passent bien évidemment après le business, « dans les eaux glacées du calcul égoïste » (Karl Marx). La Poste compte faire de la période compliquée liée à la pandémie Covid-19 une opportunité grâce, en partie, à l’aubaine de l’afflux record dans le colis (des volumes équivalents, voire supérieurs au trafic de la période de Noël).
Avant cette crise sanitaire, on expliquait aux postiers-ères que La Poste, société anonyme, était soumise à la loi du marché. Pendant la crise du Covid-19 on leur vante l’alibi de la belle mission de service public pour les faire bosser malgré la pandémie. Au delà de cette valorisation hypocrite des missions de service public ou les postiers-ères sont à l’honneur, nos dirigeants, veulent avant tout relancer l’activité au mépris de notre santé. Les 24 millions de masques stockés par La Poste nous en apportent la preuve. !
Histoire d’une grève à La Poste de Cavaillon
Je m’appelle Mohamed. Je suis postier sur la Plateforme colis de Cavaillon (PFC). Le 10 juin 2020 prenait fin ma grève de la faim débutée le 2 juin 2020. En ajoutant 2 jours de réadaptation, je serai resté au total 11 jours sans m’alimenter, ne buvant que de l’eau ou de la tisane. Je me rendais chaque jour à mon poste de travail pour assurer, auprès de mes collègues, une meilleure visibilité de mon action qui se voulait avant tout un acte de révolte et de contestation : une dénonciation des conditions de travail délétères sur la Plateforme colis de La Poste de Cavaillon. Mon action avait également pour but de sortir le site de Cavaillon d’un certain isolement en interpellant par un geste fort le Directeur général adjoint, Directeur général de la branche Services-Courrier-Colis et le Directeur Général de La Poste Colissimo afin de mettre en évidence leur cynisme.
Mes revendications, relayant celles du personnel, étaient les suivantes :
Retour aux organisations du travail avant Covid-19 ou organisation en accord avec le personnel.
Retrait de ma « sanction punitive » à la réparation des paquets.
Octroi d’une prime Covid-19 pour l’ensemble des personnels.
Arrêt des évictions punitives des postes occupés habituellement par les personnels.
Des effectifs supplémentaires notamment aux postes à fort risque de troubles musculo-squelettiques.
La PFC de Cavaillon n’a pas échappé à la règle « des affaires avant tout ». La poste, mettant en cause la pandémie, annonçait une perte de 1 milliard d’euros. Malgré une situation anxiogène liée à la crise sanitaire le « tous-toutes au boulot » à tout prix conduisait à des « dérives postales » inacceptables.
Les notes du Siège donnant tout pouvoir aux managers, les textes étaient (et sont encore) librement interprétés par les échelons locaux. Question « petites économies », l’entreprise fait les poches… : ma mise d’office en ASA (autorisation spéciale d’absence), transformée en « congé maladie » sans information préalable, a eu pour conséquence une réduction de 500 euros sur mes salaires.
Alors que les travailleurs-euses du site faisaient face au manque de matériel, d’équipement et à la propagation du virus dans une situation sanitaire locale déficiente, la Direction locale de Cavaillon mettait en place des régimes de travail à marche forcée sans aucune concertation. Intensification du travail en instaurant les 35 h sur 5 jours au lieu de 6. Les personnels qui depuis des années avait bâti leur vie sociale sur des jours de repos en cycles ont vu leur vie chamboulée. Peu importent l’âge ou les pathologies, tous les agents étaient affectés sur un chantier à fort potentiel de risques de TMS et ce au nom de la sacro-sainte rentabilité. Les encadrants plongeaient dans la brèche et tentaient de faire cravacher les personnels afin de récupérer une plus-value en berne. Et ce, au mépris de la dignité des travailleurs-euses du site.
Dans ce projet néfaste, La Poste tentait d’éliminer toutes les dissensions à cette marche forcée, d’où l’intérêt d’évincer les contestataires et de leur mettre la « pression ». En raison des mes activités syndicales, la chefferie m’affectait de façon punitive en isolement au chantier de la réparation paquet, nécessitant la manipulation de nombreux colis lourds, alors qu’en 2016 je m’étais plaint de douleurs persistantes à l’épaule droite en raison du traitement de nombreux colis hors normes. À l’époque, mes alertes n’avaient pas été prises en compte, avec comme résultat une rupture de la coiffe des rotateurs, une intervention chirurgicale et 10 mois d’absence de la PFC de Cavaillon.
Décidément l’histoire se mord la queue... Je me trouvais à nouveau dans une situation de mise en danger de ma santé par une décision complètement assumée par les cadres de la PFC. Le 29 mai 2020, j’apprenais avec colère que malgré mes alertes auprès de la Direction locale de Cavaillon, de la Direction territoriale, de la médecine de prévention, j’étais encore affecté sur ce chantier alors qu’ils savaient que j’avais toujours des douleurs depuis cette affectation. Le médecin de prévention m’avait pourtant déclaré apte aux fonctions d’encodage, tractoriste et zone pour éviter une dégradation de mon état de santé. Ces décisions ne relevaient pas de déviances managériales,. Il ne s’agissait pas non plus de mesures conjoncturelles, mais de dispositions structurelles de mise au pas du syndicalisme de combat. Mon profil de militant SUD, puis à la CNT a grandement contribué à la prise ces « mesures punitives » à mon encontre afin de tenter de museler toute contestation !
Dans le répertoire des modes d’« action collective », ma grève de la faim se situait dans un contexte de désyndicalisation et de radicalisation des dirigeants de La Poste et de leurs sbires. Si mon action se présentait comme un acte individuel, elle se posait également dans un cadre collectif. Avec les nombreux soutiens que je recevais de mes proches, de camarades et des syndicats…, je faisais face à une situation qui m’était imposée et tentais d’y apporter une réponse qui était mienne face à la difficulté à mobiliser l’ensemble du personnel. Mon action compensait un manque de rapport de force et une déficience des instances du personnel.
En effet, dans un mail réponse adressé à la CNT en date du 9 juin 2020, l’Inspection du Travail du 84 posait à la Direction locale de Cavaillon quatre questions en relation avec ma grève de la faim :
Les élus CHSCT ont-ils été saisis ? : la réponse était non !
Un droit d’alerte est-il en cours ? : la réponse était non !
Un CHSCT extraordinaire a-t-il été organisé ? : la réponse était non !
Les autres représentants syndicaux se sont-ils emparés du sujet ? : hormis la CNT et SUD, la réponse était non !
Le 10 juin 2020, La Poste annonçait le retour aux anciens rythmes de travail des PFC. Cette notification se faisait lors d’un comité technique instance consultative compétente pour donner un avis sur les questions d’ordre collectif qui se tenait le 18 juin 2020.
La principale revendication portée par le personnel de la PFC de Cavaillon était par conséquent atteinte. Je décidais de mettre un terme à ma gréve de la faim. Néanmoins, de nombreux problèmes subsistaient, l’appel à la grève de la CNT, SUD, CGT, FO sur un préavis local le 15 juin 2020 restait d’actualité. Un succès : le niveau de mobilisation de l’équipe d’après-midi figure parmi les plus importants des dernières années (pratiquement 100% de grévistes). Il témoigne de la colère et de l’exaspération d’un collectif qui, face à des mesures qui détériorent ses conditions de travail, son pouvoir d’achat, a su faire preuve d’un esprit de solidarité en surpassant ses désaccords.
Depuis, si le climat social s’est détendu, La PFC de Cavaillon demeure une plateforme malade. Malade du décalage entre la communication de l’entreprise et la réalité du quotidien. Malade de droits bafoués, des conditions de travail dégradées, d’un pouvoir d’achat en berne. Les personnels désabusés ont beau gueuler leur malaise, le dialogue social déjà proche de l’état comateux est bien mort. Liquidé, sa coquille vide craque de toute part. Face au malaise du personnel, le Directeur du site, dans un déni total, utilise les expressions de « confusion mentale » ou de « paranoïa ». Face à des agents en crise, ce n’est pas une négociation qu’il faut, mais appeler les urgences !!! Dans ce contexte de clair-obscur les vieux démons d’envois de lettres anonymes ont ressurgi...
Victime d’un accident du travail le 26 juin 2020, je suis, depuis ma reprise, le 20 juillet 2020, affecté à un poste aménagé.
Premiers de cordée vs premiers de corvée
La crise du Covid-19 a démontré l’inutilité sociale et la nuisance des « bull-shit jobs » des « premiers de cordée » et le rôle essentiel des « premiers de corvée » dans une société si absurde que si fabriquer des bombes rapporte plus que fabriquer des jouets, on fabriquera des bombes.
Depuis les quarante dernières années, nous sommes les témoins de la domination incontestée du système néolibéral en tout lieu de la planète. Depuis quelques mois, la crise sanitaire liée à la pandémie Covid-19 s’accompagne du vieux récit patronal imaginaire qui prétend que nous serions désormais tous embarqués « dans le même bateau ». Cette invite à la solidarité saupoudré d’une pincée d’idéologie d’intérêt général, sert à masquer l’obscénité de l’exploitation et nous appelle à accepter la seule logique économique.
Cette crise ne pousse pas vers une plus grande humanisation des organisations du travail et de respect des droits des travailleurs dans les entreprises mais plutôt vers une accélération de la mise en place d’un environnement de travail flexible et une dynamique encore plus prononcée d’élimination des frictions au règne de la marchandise. Plus l’engagement syndical est marqué dans le cadre des luttes, plus le risque d’être soumis à la répression s’accroît... C’est malheureux, mais c’est « normal »...
LA LUTTE CONTINUE !
Mohamed
* Un extrait de ce texte a été publié dans le Combat Syndicaliste du mois d’octobre 2020.
La détermination de Mohamed dans ce combat a été sans faille. La mobilisation de la fédération CNT PTT 84, de SUD PTT 84 et des syndicats CNT du Vaucluse, de la Drôme, de Marseille montre que nous pouvons compter sur nos capacités de rassemblement pour combattre un patronat qui se croit « maître du jeu ». Nous pouvons gagner si ensemble nous menons le combat.
Lire l'article sur le site internet de la CNT 13