Une tribune pour les luttes

Entretien avec Parwana Amiri

Article mis en ligne le vendredi 12 août 2022

Un contre discours au monde « libre », une voix et un espoir dans la lutte contre les frontières. « Je veux que le monde entende ma voix, écoute mes paroles »

Parwana Amiri, âgée de dix huit ans, arrive sur l’île grecque de Lesbos avec sa famille en 2019. Après avoir fui des années de guerre en Afghanistan, après un transit via l’Iran et la Turquie, dans l’espoir de trouver un refuge sûr, et après avoir traversé de nombreuses frontières, iElles se retouvent confrontéEs aux frontières de la forteresse Europe. Contraints de vivre dès leur arrivée à Lesbos, dans le camp tristement célèbre de réfugiéEs de Moria (qui a brûlé le 9 septembre 2020), puis celui de Ritsona jusqu’en avril 2022, Parwana Amiri a lancé un journal, où elle interroge et relate les expériences et les vies des personnes qui l’entourent. Elle est scandalisée par les conditions de vie insupportables et dégradantes pour des personnes vulnérables, elle veut faire connaître les histoires que ces personnes ont vécues, et elle les soutien avec ses talents d’auteure.

Elle publie en janvier 2022 "Vies suspendues : Lettres adressées au monde depuis le camp de Ritsona" . Les lettres de cette jeune femme militante sont bien plus qu’un témoignage, elle montre, elle comprend et elle explique mieux que personne d’autre ce désespoir qui ronge ces familles, ces personnes qui ont subi des violences, des traumatismes et qui, en plus de devoir attendre désespérément une réponse à leur demande d’asile, ont un besoin urgent de recevoir une assistance et sont obligées de vivre dans des conditions insalubres :

« Dans ce terrible moment, pendant la traversée, nous n’aurions jamais imaginé finir dans ce camps affreux, aux marges de l’Europe. »

Ces lettres sont un appel à une volonté que les choses se transforment par l’intelligence collective. Parwana est devenue une référente avérée et une prodigieuse correspondante de ce monde que l’on veut nous faire oublier. Comme tous ces individus, ces hommes et ces femmes, qui sont des transformateurs de leur propre quotidien, savent parler mieux que personne d’autre des difficultés auxquelles iElles sont confrontées et comment y faire face et ne pas y perdre son identité sociale et son existence culturelle.

Elle a aussi publié deux autres livres : « L’olivier et la vieille femme », « Ma plume ne se cassera pas mais les frontières oui ». Elle a animé et propulsé de nombreuses manifestations pour le droit à l’alimentation, pour le droit à l’éducation,..

Une voix insurgée face à ce racisme systémique à part entière, qui n’est pas seulement une manifestation de la colonialité du pouvoir, mais largement perceptible et omniprésent dans leur vie quotidienne.

Une voix contre les institutions de ces pays qui se considèrent comme développés.

Une voix porteuse de vérités et transformatrice pour les victimes de ce système capitaliste et frontalier, mais aussi de cette société dans son ensemble.

Un appel à surmonter cette étroitesse d’esprit et ces croyances déformées, issues des structures hiérarchiques et de ces états-nations, de ces machines à mensonges, dont les plus vulnérables en payent le prix. Parwana est un exemple à suivre pour les résistances à venir. On ne peut pas penser la résistance, l’émancipation, que ce soit en contexte colonial ou de colonialité sans aller voir ce que ces femmes et ces hommes qui sont confrontées à des violences quotidiennes ont à dire et ce qu’elles font et ont fait à un moment donné dans leur vie.

De ces discours de soi disante « démocratie », de soi disante « liberté » de cette modernité capitaliste, les lettres de Parwana Amiri sont un appel manifeste à sortir de ce paradigme patriarco-colonial et de la violence de ce régime « démocratique ».

Ces lettres donnent la parole à celles et ceux qui affrontent ces violences des camps et des frontières au quotidien et parlent de ce vrai visage de l’occident.

Ces lettres qui nous montrent qu’il est possible de défier ce paradigme qui pousse à considérer qu’il y a pas d’autres perspectives, qu’il n’y a pas d’autres manières de voir les choses lorsque nous sommes dominéEs.

The original interview in English is found at the end of the article, without any modification and respect for the comments of the author and her words.
L’interview originale en anglais se retrouve en fin d’article sans aucune modification par respect des propos de l’auteur et de ses mots.

LK : Salut Parwana, tu as enfin pu arriver en Allemagne depuis le mois d’avril, comment ça se passe depuis ton arrivée ?

PA : Depuis le jour où nous avons passé la première inscription, nous avons été transférés d’un endroit à un autre. Il n’est pas difficile d’être transféré d’un endroit à un autre lorsqu’ils le font eux-mêmes. Mais c’est dur, alors que vous avez récupéré toutes vos affaires aux marges de l’Europe dans quelques valises. Je me sentais dans la deuxième classe de vulnérabilité, quand j’ai fait face à la priorisation des réfugiés d’Ukraine.

Je vais à l’école, mais ce n’est pas plus élevé ni même le même niveau qu’en Afghanistan, parce que le système afghan est mis en avant comme étant inférieur ou pas le même. D’un autre côté, quand je vois un système d’intégration amélioré dans la société allemande, je demande s’il serait possible d’avoir la même chose en Grèce, de sorte que nous n’aurions pas été pousséEs à aller d’un endroit à un autre. Même si nous sommes venuEs légalement, toutes mes pensées vont à celles et ceux qui franchissent les frontières aux marges de l’Europe. J’essaie d’étudier, d’analyser et de trouver des contacts pour m’opposer au système centralisé. Je sais que notre arrivée de la marge du système de l’Europe est entièrement contrôlée, le nombre de celles et ceux qui sont acceptéEs ou rejetéEs, le nombre de celleux et ceux qui peuvent passer les frontières et les franchir. Ce que j’ai trouvé complètement injuste, c’est la LOI DUBLIN. Cette action criminelle, violente et systémique se produit en secret. La nuit où votre voisinE risque d’être évacuéE et d’être envoyéE dans le pays qui a transmis ses empreintes digitales, vous ne le saurez pas. Je préférerais l’appeler « déportation systémique centralisée ».

LK : S’intéresser aux personnes qui vivent la migration et ses violences, leur donner la possibilité de parler et dire « je », leur laisser dire ce qu’Elles ont vécu, tout ce qu’Elles ont laissé, les violences auxquelles elles ont échappé, à la mort…c’est ce que tu as fait, c’est une façon que tu as choisi pour leur rendre une dignité ? Est-ce que ce sont ces traumatisme qui t’ont fait gagner en lucidité, après avoir vécu des choses dont tu ne t’attendais pas du tout ?

PA : Ce qui nous fait marcher, vivre et passer toutes sortes d’ennuis, c’est « l’espoir ». J’avais passé la frontière pour réaliser mes rêves et quand cela ne s’est pas produit, j’ai décidé de changer le miroir de plusieurs façons. D’eux nous représentant, parlant de nous-mêmes, je ne voulais pas répéter les mêmes erreurs commises par mon temps et avant moi, le « système centralisé », même si je ne savais rien de ce système, mais j’avais construit un changement en faisant des réflexions sur moi-même et commencé à écrire en suivant ces objectifs. Le traumatisme m’a rendu plus résiliente. Je voudrais ajouter encore une fois, je n’aurais jamais atteint tout ce que j’ai dans la vie sans le soutien de personnes solidaires, qui m’ont montré l’importance de parler des conditions par l’écriture.

« Pendant longtemps, j’ai réfléchi et changé les pronoms personnels utilisés dans les histoires, relisant l’histoire à nouveau. Je me sentais enfin mieux en utilisant le « je » et donner la voix et les mots aux héros des histoires vraies était important pour moi, en tant qu’auteure. Une auteure…. Une personne qui possède une arme et peut l’utiliser pour un avantage unilatéral ou les deux. Le mot dignité, en tant que droit, a été lu par de nombreux lecteurs-rices pour la première fois. Au moins comme une demande d’une réfugiée anonyme. »

LK : Comme on peut le lire dans tes lettres, ces personnes ont juste quitté l’enfer, ce n’est pas un voyage d’agrément comme beaucoup le pensent. Tu étais très attaché au fait que toutes ces voix ne soient pas entendues, et est ce que c’est cela qui t’a poussé à écrire ?
Quelle est l’importance pour toi de retranscrire les témoignages de personnes en migration ?

PA : Lors de ma première action d’activisme stricte, respirer dans ce système devenait difficile pour moi. Plus je prenais conscience des faits et la vie dans ce système répressif, plus je souffrais. L’auto-éducation sur ce système m’a aidé à bien des égards, mais a également accru le traumatisme dont je souffrais au début de mon arrivée en Allemagne. J’ai demandé à plusieurs reprises à des chercheurs qui m’ont tendu la main, à des personnes solidaires et… s’ils avaient déjà affronté le même combat que je menais auparavant. La réponse concernant le sexe a été « Non ». J’étais la première personne, en tant que fille, musulmane, dans un camp et scénarisant la condition, mais je savais que j’étais la pointe d’un iceberg. Plus de vie pour moi dans un temps lointain ou proche devait apparaître ou rejoindre le mouvement. Mais ce mouvement n’était pas seulement avec la manifestation, mais aussi avec la résilience qu’ils montraient contre le système qui essayait d’abolir leurs vies, leurs rêves et leur avenir. Je voulais témoigner de la vie pour celles et ceux qui viendraient après moi. Il n’a pas été écrit comme un récit unique, mais comme la preuve de différentes personnes. Je ne voulais pas que d’autres personnes aient à se lèver pour un changement, face au manque d’informations sur la chronologie, d’avant et où iElles se situeront. Je suis heureuse de savoir que « je » écrivais la condition de vie en tant que fille, non pas que je suis un porte-drapeau, mais pour faire une analyse plus approfondie et une connexion avec mes sentiments.

LK : Tu nous parles de ton étonnement à devoir participer à des manifestations pour réclamer ton droit inviolable à l’éducation, en arrivant en Europe, en plus de cette mise à l’écart et de ce regroupement forcé dans les camps de Moria et Ritsona, alors que tu avais déjà vécu l’expérience de cette perte de l’accès à l’éducation après l’arrivée au pouvoir des talibans en Afghanistan. En découvrant ce monde « exemplaire » que nous appelons l’Europe, as tu perçu une différence entre ces deux mondes, ou as tu été confrontée à des difficultés similaires ?

PA : La principale différence peut être l’anonymat, en Europe il n’a pas été révélé que nous n’allions pas à l’école, à propos de l’Afghanistan c’était le cas. En Europe il fallait sensibiliser, à la fois réagir et se dresser contre cette exclusion, demander la solidarité et l’appel public. C’était et c’est toujours un gros scandale, la question n’a jamais été compromise et partagée au niveau de l’État, car la façon de la représenter était importante pour les médias, cela a fait savoir que nous avons vraiment moins de place dans les médias publics.

LK : En tant que personnes vulnérables, sans protection, en danger,… tu dénonces ce système qui ne les protège pas, mais les punit. Tu as été tellement déçu de découvrir ce que signifient ces « valeurs » Européennes, qui enferment des personnes vulnérables dans des camps-prisons, et où les seules personnes à proposer un avenir, un passage et une évacuation sûre vers d’autres pays européens sont des passeurs. C’est ce que l’on retrouve constamment dans tes témoignages où tu dis : « Est-ce un crime de dire non à l’injustice ? De demander des droits humains de base ? De combattre pour une vie meilleure ? De questionner ce que vous nommez démocratie ? » Est-ce que tes revendications ont été facilement suivies par les autres personnes des camps où tu as été ou bien cela a-t-il été difficile ?

PA : Je n’ai pas été déçue de ce que nous avons dû affronter dans notre vie, des difficultés que nous avons traversées, mais plutôt de l’EUROPE qui n’a pas pu former un système équitable. Le théâtre fait par l’État contre la traite des êtres humains était et est ce qu’ils ont agi et revendiqué : « anti-guerre », en produisant des armes. Le fait d’avoir des frontières et des mécanismes de contrôle aux frontières restreints a accru les opportunités pour les trafiquants d’êtres humains. Il y a toujours un moyen pour celles et ceux qui peuvent physiquement ou financièrement acheter le « passage », et cela ne finira jamais. Celles et ceux qui peuvent passer les frontières trouveront toujours un moyen de passer et les autres seront laisséEs pour compte, donc les arrivantEs ne sont pas totalement vulnérables, car les principaux sont laissés derrière les fropntières où ils ne pouvaient pas passer. La seule solution est un « passeport mondial ». Cela doit être accepté et ensuite on en parlera. Je ne peux pas pousser les pensées, mais je peux les guider pour trouver le chemin de la vérité. Ce devrait être un état d’esprit, c’est la vie dans les décennies à venir contre les camps et les frontières qui rappellent les pensées d’il y a cent ans. Nous souffrions toustEs du même système, seulEs celles et ceux qui étaient plus conscientEs, agissaient ou participaient au changement, mais les autres ne l’étaient pas, ce qui les encourageait était le résultat, quand iElles ont pris conscience que notre action avait gagné et que nous avions réussi. Dans une prison, même la personne la plus libre est en prison, il ne s’agit pas des possibilités que j’avais, afin de communiquer avec les personnes hors du camp, mais plus en rapport au système et à la construction du système.

LK : Tu parles aussi des divisions dans les camps entre les différents ethnies, communautés, comme une arme utilisée pour diviser et empêcher vos revendications d’aboutir … Comment as tu fait pour sensibiliser et motiver ces personnes souvent affaiblies physiquement et psychiquement, qui survivent dans des conditions médicales et psychologiques très précaires, le plus souvent dans le besoin de recevoir une assistance d’urgence que d’être enfermées ? Tu emploies les expressions : « Devenir refouléE » et « ne pas devenir colonisé dans un système colonial », peux-tu en parler ?

PA : Nous apprenions de cette comparaison et menions notre vie sur le même chemin.

« L’ensemble du système des pays peut être trouvé dans les structures familiales de ce pays. » – Parwana.

Le système de ségrégation dans le camp, a brisé notre communication et notre pleine conscience sur le traitement de l’état pour chaque communauté. Ce qui m’inquiétait, c’était que nous devions continuer à communiquer pendant le temps où nous voulions avoir une lutte commune et défendre un problème commun, même si nous avions des obstacles à la communication avec la langue et le manque de traducteurs. Si ce moment était, cette fois, j’aurais peut-être écrit « devenir colonisé dans un système colonial ». ce qui revient presque à dire « Vous n’êtes pas hors de la vie dans un système capitaliste, si vous voulez survivre ». Je n’écrivais pas en tant que chercheuse ou autrice universitaire, mais j’apprenais à trouver les meilleures façons de refléter le système. Je ne crois pas que ce n’était pas seulement la condition psychologique ou physique qui les affaiblissait, mais plus elles devenaient restreintes et plus nous nous retrouvions sous la répression, cela renforçait la vulnérabilité.

LK : Quand Il s’agit pour les révolutionnaires du monde entier de rompre avec la mentalité coloniale engendrée par le nationalisme caractéristique de ces État-nation, qu’en occident et dans les pays du nord, le capitalisme est parvenu à tuer l’esprit humain, tu dis que les changements doivent venir des personnes en migration, et qui sont en première ligne. Dans cette recherche permanente de dialogue, de pédagogie, d’émancipation, dont tu fais preuve, n’est elle pas pour toi la recherche d’un espoir et d’imagination, de lutte contre ce fatalisme ? quelles sont les solutions pour toi ?

PA : Si le patriarcat est le reflet du capitalisme, alors le féminisme est le reflet de la lutte contre ce système. Le changement doit commencer par le système migratoire, s’il s’agit de justice ou de liberté. Parce que ces personnes sont les minorités les plus vulnérables. Car le combat qu’Elle mènent est le plus fort, pas pour le résultat de propositions que nous apportons avec nous-mêmes ou si nous nous tenons en première ligne mais n’avons pas le micro à la main. Je dirais à tous-tEs celles et ceux qui m’écoutent et attendent une solution de ma part, que la solution c’est « vous », mais nous agirons pour arriver au résultat.

LK : Les voyages des réfugiés ne sont jamais sans risques, sans dangers et sans difficultés. Mais chaque réfugié qui entreprend son voyage vit des expériences horribles, traumatisantes, et des moments insupportables qu’iElles ne peuvent oublier. Et dans ces moments terribles que tu as traversé, tu ne pouvais jamais imaginer que tu te retrouverais dans ces camps épouvantables, aux marges de l’Europe. Quel a été le pire moment de ton parcours ?

PA : La dernière fois que nous avions prévu de venir en Grèce, en passant par la mer, au milieu du chemin alors que l’eau arrivait à notre canot pneumatique, vous pouvez lire l’histoire complète ;
Dans une sombre nuit effrayante

Alors que la lune souriait

Au milieu de la mer

Nous étions en détresse

Ma mère pleurait

Peur pour nous tous

Dans cette mer agitée en colère

Nous étions en détresse

LK : Perdre son foyer, la familiarité de sa vie quotidienne, sa profession, c’est-à-dire l’assurance d’être d’une quelconque utilité en ce monde, sa langue maternelle, toutes les réactions naturelles, les gestes les plus simples et l’expression spontanée de ses sentiments, perdre son identité sociale et sa culture… Quelles sont les plus grandes pertes qu’entraînent pour toi le fait de devoir s’exiler pour sauver son corps ?

PA : Si c’est une question personnelle, je pense que c’est juste mon identité quand on n’a pas de papiers à montrer, pas de passeports pour voyager, mais comme les exilés perdent leur identité, l’état de ces pays perd sa dignité. C’est un grand sentiment d’exclusion de n’avoir aucune identité, même si c’est pour un jour. Mais cette identité que nous ne perdons jamais, nous portons toujours des noms et des nationalités, ce qui ne devrait pas être une étiquette ou un symbole.

LK : C’est Paulo Freire qui disait :

« Lorsqu’ils restent « immergés » et ne réussissent pas à analyser le système d’oppression, les opprimé.es agressent leurs propres camarades opprimé·es. Ils restent fascinés par l’oppresseur, ils veulent lui ressembler et donc ils l’imitent. Ils n’ont pas confiance dans leur capacité propre d’analyse critique. »

Et tu cites dans ton livre :

« Quand commencerons nous à nous comprendre plutôt que de nous blâmer les uns les autres pour ce dont nous sommes les victimes ? ».

Ton travail de conscientisation, de politisation de soi, dont tu fais preuve par rapport à ton propre vécu, cette lucidité que tu as après ces traumatismes et surtout à ton âge, après avoir vécu des choses dont tu ne t’attendait pas, où après coup, la terre, à tes yeux ne semblait plus tout à fait ronde… comment toutes ces choses, ces violences, ont elle provoqué ces transformations dans ta vie ?

PA : C’était bien de connaître le même point de vue, j’adorerais lire ce livre. Je suis devenue plus mature, concentrée sur la condition et le comportement des gens, les communautés, les différentes ethnies, les groupes, le système des camps et… même la façon dont les femmes étaient les unes contre les autres, imitant les comportements patriarcaux ou faisant du théâtre. Je me critiquais tous les jours, je comptais moins sur mon succès et c’était à ce moment-là que je me sentais toujours brisée et échouée. Alex faisait partie de ceux qui ont toujours voulu me rencontrer dans le camp et parler des changements ou m’aider dans mes écrits. Il a toujours voulu connaître les raisons pour lesquelles j’avais ce sentiment d’échec, « J’ai changé beaucoup de choses, si pas de manière systémique mais dans les communautés, si ce n’est l’abolition des murs, mais la perspective de l’éthique sur l’activisme d’une fille réfugiée et sur les communautés locales. Je pense toujours que je n’ai rien obtenu si cela ne va pas être durable et tout sera aboli après mon départ du camp, mais j’essaierai de couvrir mon activisme en documentant mes luttes et de porter le fait à celles et ceux après moi, s’il y en a. Je pense parfois que cette leçon devrait aller à tous-tEs celles et ceux qui veulent faire du théâtre contre les aléas de la vie, les ennuis et les défis, ceux qui veulent retrouver résistance et énergie, à tous-tEs. A tous-tEs, mais surtout aux filles.

LK : Quand on voit ce qu’il se passe dans les camps que finance l’Europe, on a vraiment l’impression qu’aux yeux de ces institutions, un réfugié reste une réfugié, c’est-à-dire pas tout à fait un être humain, mais plutôt considéré comme un criminel qu’on emprisonne, coupable d’avoir fui les guerres impérialistes, donnant plus l’image de camps de dissuasion que de camps humanitaires… sa dignité, son intégrité, et même sa vie ne pèseront jamais grand-chose aux yeux de ces institutions européennes. Cette position que tu occupes est une position unique, voire inhabituelle, atypique, inattendue, sur la frontière, dans des camps de réfugiés, cette position que tu refuses de porter, et d’accepter … toutes ces transformations, ces ruptures, ces douleurs qui ne sont pas seulement liées à ce que vous êtes, à vos compétences ou à vos incompétences, mais profondément inscrites dans un ordre qui te dépasse, des formes structurelles qui sont difficiles à accepter, c’est quelque part une quête de puissance et d’émancipation juste, une lutte permanente contre ce fatalisme… On voit que tu questionnes sans cesse ton entourage, c’est en fin de compte se demander si ce qu’iElle ont vécu ou sont en train de vivre est finalement acceptable ?

PA : C’est exactement ce dont vous avez besoin de parler et de le faire comprendre ! Si la persécution n’est pas un cas acceptable pour devenir demandeur d’asile et non migrant dans certains Etats membres de l’Union européenne, et l’est pour d’autres, alors à quoi sert cette étiquette ? Même le droit des réfugiés est spécifié dans le temps qu’ils sont sous la procédure. Apatride, signifie qu’il n’y a aucun sens à être compté comme un être humain.

LK : J’avais aussi envie de te poser une énième question, désolé… car c’est une
question que je me pose moi-même souvent dans ce monde « libre » où la domination est constamment reproduite, assimilée, intériorisée, et qui, finalement arrange bien les privilégiées de cette forteresse, y compris dans les milieux soi disant de « gauche », où comme le dit lui même Abdullah Öcalan, « la loi a remplacé la morale » : n’as-tu pas, en fin de compte, l’impression que le droit à l’autodéfense, le droit à l’expression sont interdite et fortement réprimés, alors que nous devrions chercher à recentrer notre attention sur les voix et les expériences des plus opprimés ? Et en écoutant ce que ces personnes opprimées ont à dire, ne crois tu pas aussi que nous trouverions plus facilement des solutions à nos problèmes sociaux ?

PA : Je crois que oui, mais bien sûr les problèmes sociaux font aussi partie de la même domination. Le principal défi pour les plus réprimés, pour nous les « minorités », est que nous devons apprendre à sortir de l’impérialisme dans lequel nous vivons et à résoudre nos problèmes en tant que partie intégrante de la société. Nous ne devons pas l’apprendre de nous-mêmes et non par nous-mêmes. Donc je suis d’accord. Dans ma dernière période d’activisme en Grèce, faisant partie d’actions locales, j’ai remarqué à quel point nous pouvions avancer ensemble. Se dresser contre les règles et les lois, ce qui affectait à la fois la partie de la société « réfugiés et locaux », mais le système de ségrégation était contre nos actions, un de leurs plans pour réprimer notre lutte et éviter les bruits plus forts qui pourraient sortir et mettre en lumière les scandales de l’État.
Ses « LETTRES AU MONDE DE LA MORIA » sont publiées sur ce Blog et voice of refugees.

Pour commander « Vies suspendues » vous pouvez visiter ce lien.
Pour commander « L’olivier et la vieille femme » vous pouvez visiter ce lien.
Pour vous tenir au courant de son travail, vous pouvez suivre Parwana sur Instagram ou son compte twitter.

La pédagogie des oppriméEs, de Paulo Freire, fiche de lecture avec Enquête Critique.
Un grand remerciement à Bertrand Cayzac pour sa proposition à réaliser cet entretien, ses relectures et la traduction du livre « Vies suspendues.. » de l’anglais vers la langue française.

P.-S.

contact LK : infolekiosk chez riseup.net

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