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Chiapas, le retour du groupe paramilitaire « Paz y Justicia »

Article de Luis Hernández Navarro, publié dans le quotidien mexicain La Jornada le 15 septembre 2020

Article mis en ligne le mercredi 23 septembre 2020

La terreur est de retour à Tila, Chiapas, manifestée par le réapparition du groupe paramilitaire Desarollo, Paz y Justicia [« Développement, Paix et Justice »]. Sans interruption, attaques à main armée, assassinats, barrages et de nombreuses autres agressions se succèdent à l’encontre des 836 membres des terres collectives ejidales qui viennent de récupérer leurs droits territoriaux.

Entre 1995 et 2000, le groupe Paz y Justicia avait assassiné dans la zone nord du Chiapas plus d’une centaine d’indigènes choles, procédé à l’expulsion de leur communauté de plus de 2000 paysans et de leurs familles, fait fermer 45 temples catholiques [1], perpétré des attentats contre les évêques Samuel Ruiz et Raúl Vera [2], abattu plus de 3000 têtes de bétail, et procédé aux viol de 30 femmes. Équipés d’armes lourdes, les paramilitaires contrôlaient les chemins, administraient les ressources publiques et occupaient les postes de pouvoir.

Le groupe civil armé comptait sur le soutien du général Mario Renán Castillo, chef de la septième Région militaire. Un porte-parole de l’institution militaire confessait – selon les dires du journaliste Jesús Ramírez Cuevas – que cette organisation constituait l’orgueil du général. Quelques jours avant que ce haut militaire n’abandonne son poste, il avait été salué et remercié par les leaders du groupe Paz y Justicia, avec des paroles empreintes de complicité et de remerciements. On ne vous oubliera jamais, Señor. Tout ce que vous avez fait pour nous, nous oblige à exprimer toute notre gratitude, lui firent-ils savoir.

Paz y Justicia constituait un acteur central dans la guerre de basse intensité orchestrée par le gouvernement d’Ernesto Zedillo contre l’Armée Zapatiste de Libération Nationale (EZLN). Il cherchait alors à obtenir le contrôle territorial du couloir stratégique assurant la communication entre la région des cañadas chiapanèques et l’Etat du Tabasco [3], ainsi que de saboter, par le biais de la violence, le processus d’autonomie chol.

Le 2 juillet 1997, le gouvernement chiapanèque décidait de doter l’organisation Desarrollo, Paz y Justicia de 4 millions 600 mille pesos [200 000 euros] afin de mettre en place des projets agro-écologiques et productifs. Le document avait été ratifié par les chefs paramilitaires, l’ex-gouverneur Julio César Ruiz Ferro et Uriel Jarquín, sous-secrétaire du gouvernement du Chiapas. Le général Mario Renán Castillo l’avait ratifié en qualité de témoin d’honneur ( Masiosare, 21/12/1997).
Au-delà de ses liens militaires, l’initiative à la base de la formation de Paz y Justicia provenait d’associations d’éleveurs de la localité de Salto de Agua. Elle avait été fondée en mars 1995, et ses opérateurs politiques étaient constitués de dirigeants du Parti Révolutionnaire Institutionnel provenant de la municipalité de Tila. Selon un rapport publié par le Centre des Droits humains Fray Bartolomé de Las Casas, Salto de Agua, Palenque et Playas de Catazajá sont les municipalités de la zone nord du Chiapas comptant le plus de propriétés privées, et où les terres collectives ejidales et les communautés agraires représentent le plus faible pourcentage de la propriété de la terre.

Leur principal dirigeant, aujourd’hui en prison mais auparavant député du Parti Révolutionnaire Institutionnel, Samuel Sánchez Sánchez, expliquait que la création de Paz y Justicia s’était faite en réaction à la radicalisation observée dans l’orientation politique des sympathisants zapatistes et perredistes des communautés et des ejidos de Tila, Sabanilla, Salto de Agua et Tumbalá.

Les membres de Paz y Justicia faisaient partie de Solidaridad Campesino-Magisterial (Socama) [Solidarité paysans-instituteurs], une organisation à l’origine formée par l’équipe dirigeante de la section 7 du SNTE [Syndicat National des Travailleurs de l’Éducation] et un groupe dissident de la CNC [Confédération Nationale Paysanne], dirigé par Germán Jiménez. Le groupe, qui avait repris le nom du syndicat polonais Solidaridad, s’était étroitement associé aux luttes paysannes de la CNC au Chiapas. Il avait cependant entamé une dérive pro-gouvernementale à partir de la détention de ses principaux leaders en 1986. L’accession de Carlos Salinas de Gortari à la présidence du Mexique en avait fait le relais des organisations paysannes proches du gouvernement et, à partir du soulèvement zapatiste de 1994, en pépinière de groupes paramilitaires [4].

La reconstitution des communautés choles en tant que peuple et la construction de leur autonomie a derrière elle une longue histoire. Une histoire qui, dans sa phase moderne, passe de la lutte pour en finir avec le mosojüntel (« le temps où nous étions des serfs »), à la réforme agraire sous le président Lazaro Cardenas dans les années 30, qui avait permis la récupération de la terre, au retour à la production paysanne d’aliments de base, à la formation d’une église autochtone, à l’organisation de coopératives de café afin de s’approprier le processus productif, au soulèvement zapatiste, à la lutte électorale (1994 et 1995), et à la reconquête des ejidos et la formation de gouvernements autonomes.

Au début du 21e siècle, Paz y Justicia est temporairement rentré en disgrâce. Des conflits internes éclatèrent tout d’abord pour le contrôle des ressources économiques. Ensuite, certains de ses dirigeants furent incarcérés. Ils réussirent cependant à se redéployer dans la région, sous la couverture du Parti Vert Ecologique Mexicain (PVEM).

Dans les faits, les personnes responsables des attaques actuelles contre l’ejido Tila sont l’ancien président municipal Arturo Sánchez Sánchez et son fils Francisco Arturo Sánchez Martínez, respectivement frère et neveu de Samuel Sánchez Sánchez, toujours incarcéré. Ont aussi participé l’actuel maire Limbert Gutiérrez Gómez, du PVEM, ainsi que le délégué régional de Paz y Justicia et le secrétaire technique de l’Institut chiapanèque d’éducation des jeunes et des adultes, Óscar Sánchez Alpuche, en lien avec le secrétaire du gouvernement du Chiapas, Ismael Brito Mazariegos [5].

La réactivation de Paz y Justicia dans le nord du Chiapas ainsi que sa politique de terreur ne constituent pas un fait isolé. D’autres groupes paramilitaires ont ressurgi à Chenalhó, Chilón, Oxchuc et Ocosingo, immédiatement après l’annonce zapatiste de l’extension de leurs gouvernements autonomes et de leur refus de la construction du Train Maya. La guerre de contre-insurrection continue.

Twitter : @lhan55
Trad 7NUbS

source (en espagnol) : La Jornada, le 15 septembre 2020.

— 

[1] le groupe « Paix et Justice » est proche des obédiences évangéliques

[2] anciens évêques catholiques du Chiapas, Samuel Ruiz et Raúl Vera étaient profondément marqués par la théologie de la libération, et soutenaient le mouvement des « communautés ecclésiales de base » et de la « théologie indienne », très engagées politiquement pour le respect de l’autonomie, des droits territoriaux et des institutions collectives des communautés

[3] la région des cañadas, les « vallées », correspond aux parties de l’ancienne forêt lacandon situées le long des grands fleuves qui la traversent, et peuplées de communautés indiennes tzeltales, choles, tzotziles ou métisses qui furent – et restent encore aujourd’hui – extrêmement impliquées dans l’EZLN. L’Etat du Tabasco est quant à lui peuplé de nombreuses communautés choles et chontales, et bénéficie d’une importance stratégique du fait de ses grandes exploitations pétrolières. L’actuel président Lopez Obrador en est originaire

[4] voir https://bit.ly/3hvViWq

[5] voir https://bit.ly/3mjT93S

P.-S.

La traduction française de l’article de Luis Hernández Navarro a d’abord été publiée sur le site du Comité de solidarité avec les peuples du Chiapas en lutte

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