Une tribune pour les luttes

Brèves de Mut Vitz 13

La danse de la mort d’EDF dans le sud-est du Mexique

Des nouvelles de l’isthme de Tehuantepec (paru dans lundimatin#236, le 30 mars 2020 )

Article mis en ligne le jeudi 2 avril 2020

Une fidèle lectrice de lundimatin bloquée au Mexique par la crise du coronavirus en a profité pour nous transmettre ce reportage depuis l’isthme de Tehuantepec. Depuis plusieurs années, cette bande de terre est le lieu d’une invasion massive de projets de développement industriels, au premier rang desquels se trouvent des parcs éoliens d’EDF ainsi qu’un vaste plan de corridor interocéanique (ou transisthmique). Face à cela et à un président qui déclare à qui veut l’entendre la mort du néolibéralisme : la résistance des communautés de l’isthme s’organise.

En France, montagnes, vallées, plaines et mers sont envahies petit à petit par les éoliennes d’EDF. Nos horizons, ici et ailleurs, sont des pales d’aérogénérateurs qui s’étendent à l’infini, des réseaux électriques de très haut voltage qui emmènent l’énergie on ne sait où, et des nuits qui clignotent rouge comme des mauvais rêves. Nous savons déjà que l’implantation du renouvelable en remplacement de l’énergie fossile permet d’établir un marché mondial de crédit carbone et permet au gouvernement de légitimer en parallèle le renouvellement de ses centrales nucléaires, tout en détruisant les territoires et les formes de vies diverses qui les habitent. Ceux qui luttent contre les parcs éoliens et leur méga-réseaux électriques, comme l’Amassada en Aveyron, en témoignent depuis plusieurs années déjà.

Si l’on regarde au-delà, on s’aperçoit que la carte d’implantation des projets en énergie renouvelable d’EDF Renouvelables s’étend sur toute la surface du globe. Au Mexique, l’isthme de Tehuantepec, une des régions les plus venteuses du monde, en paye les frais depuis une quinzaine d’années. Là-bas, les pales des aérogénérateurs sont comme les croix d’un immense cimetière qui retient ceux qui se sont battus pour défendre l’usage de leur territoire contre la voracité des entrepreneurs. L’isthme de Tehuantepec est une région de Mésoamérique qui s’est illustrée par sa résistance millénaire face à la colonisation avec notamment la conservation de sa langue et de ses fêtes malgré des campagnes de métissage forcé depuis 500 ans. Malgré les multitudes de concessions minières qui attendent pour ouvrir la terre et les milliers d’éoliennes entre lesquelles paissent les troupeaux de vaches désorientées, la résistance ne s’arrête pas et durera tant que les convoitises colonialistes des entreprises transnationales dureront. En 2014, Alessi Dell Umbria nous avait déjà fait parvenir via son documentaire « Le vent de la révolte » les échos de la bataille victorieuse des Pueblos de pêcheurs contre une entreprise d’éoliennes dans le sud de l’isthme. Parce que la ritournelle du capitalisme vert est plus que jamais d’actualité, il convenait de faire le voyage à nouveau pour prendre des nouvelles et comprendre comment les luttes continuent dans cette région. D’autant plus qu’une gauche qui se prétend anti-néolibérale est au gouvernement depuis 2018 pour la première fois de l’histoire du Mexique. Comment ce même gouvernement qui déclare la mort du néolibéralisme peut-il justifier ce genre de projets ?

La danse de la mort d’EDF dans le Sud-est Mexicain

La filiale d’EDF Renouvelables, Eolicas de Oaxaca s’apprête à commencer les travaux de son quatrième parc éolien dans la région du sud-est mexicain, l’isthme de Tehuantepec.

« Dans ce contexte de privation, violence, violations, omissions et complicités exacerbées ; pour ouvrir la voie aux compromis et aux accords, signés avec les entreprises néolibérales dans le dos des peuples indigènes doyens des terres ; les gouvernements étatiques et fédéraux, exécutent ensemble la danse de la mort par dessus notre sol, mer, et ciel. »

Depuis 2016, EDF Renouvelables et sa filiale Eolicas de Oaxaca, tente d’imposer son quatrième parc éolien dans l’isthme de Tehuantepec, cette fois dans le municipio de 15000 habitants de Union Hidalgo, o Ranchu Gubiña en langue Diidxazá du peuple Binnizá (zapothèque) [3]. EDF s’est implanté dans la région depuis 2009, aux côtés d’entreprises espagnoles, allemandes et danoises comptant au total 28 parcs éoliens et environ 2000 éoliennes. Alors que la mesure de l’électricité produite est toujours annoncée en nombre de personnes bénéficiaires, l’énergie produite dans l’isthme n’a jamais servie à éclairer les maisons de ses habitants : elle est revendue directement aux grandes entreprises comme Coca Cola ou Grupo Bimbo (numéro un de l’agroalimentaire au Mexique).

L’entreprise française exploite déjà 3 parcs éoliens totalisant 189 aérogénérateurs pour une puissance de 390 MW. Le nouveau projet, cyniquement nommé Gunaa Sicarù, « a femme jolie » en référence à la devise de Ranchu Gubiña, « Tierra de las mujeres bonitas » est bien plus ambitieux que les précédents avec une puissance de 342 MW pour 62 aérogénérateurs. La capacité de chaque turbine a considérablement augmenté en passant de 2,5 MW à 4,84 MW pour le nouveau projet. Ce dernier s’étend sur la commune d’Union Hidalgo et La Venta sur une surface totale de 4708 ha. Deux projets en plus de celui-là sont en attente d’autorisation de la part de la Commission de Régulation de l’Énergie. Dans la région de l’isthme, le vent souffle parfois si fort que les éoliennes doivent être à l’arrêt et les camions poids lourds s’effondrent sur la route Panaméricaine. Malgré cela, ici, la voracité et la dévastation n’ont pas de limite.

Selon l’agenda de l’entreprise le projet devait initialement être opérationnel pour le mois de juin 2019. C’est pour cela que depuis 2017, elle tente d’imposer via la Secretaria de Energia (SENER), la réalisation de la dite « consultation indigène préalable, libre et informée » pour pouvoir clôturer la phase informative et commencer les travaux. Depuis lors les opposants au projet représentés par les comuneros d’Union Hidalgo et autres collectifs n’ont cessé de dénoncer l’absence de conditions adéquates pour la tenue de cette consultation, des menaces répétées envers ceux qui exprimaient un refus aux profonds dommages causés par le séisme de magnitude 8,2 qui ravagea la région le 7 septembre 2017.

Cette consultation est forcément un simulacre, comme le signalent les compañeras :

« Les comuneros signalent que la procédure de consultation n’a pas respecté le caractère « préalable » qu’elle doit avoir, dans la mesure où cela fait deux ans que EDF s’accapare des terres communales sans le consentement de leur assemblée, et qu’elle a consolidé et renforcé ses relations avec les petits propriétaires, passant sous silence le caractère communal du territoire : un mépris de plus envers les droits concernant les terres communales et la libre détermination. Ce désaccord entre comuneros et petits propriétaires est grave et connaît des antécédents. En 1964, la Résolution Présidentielle concernant la Titulation de Biens Communaux reconnaît et attribue 68.112 ha à la municipalité zapotèque de Juchitán de Zaragoza et ses annexes : Xadani, La Ventosa, El Espinal, Chicapa de Castro et Unión Hidalgo. »

L’assemblée des comuneros est l’autorité propriétaire des terres communales, représentée légalement par son commissaire des biens communaux. Les comuneros y décident quel sera l’usage des terres et règlent les différents problèmes qui se posent à eux comme par exemple les conflits sur les limites de terres entre différentes communautés.

Seulement, à Juchitan, l’âge d’or de l’assemblée fût de courte durée. Dans les années 1970, de violents conflits opposèrent les paysans au régime corporatiste du Parti Révolutionnaire Institutionnel (Partido Revolucionario Institucional, parti-État issu de la révolution mexicaine, au pouvoir pendant 70 ans). Le violence atteignit son apogée avec d’une part la disparition forcée de Victor Yodo en 1978, qui fût le dernier commissaire des biens communaux de Juchitan et d’autre part le massacre d’enfants et de paysans. Ces années de troubles ont vu les terres de Juchitan se démanteler. L’affaiblissement des autorités communales les dernières décennies a eu pour conséquence l’établissement d’actes de propriété via des cabinets notariaux sur les terres d’usage communal, le tout appuyé par les administrations municipales. Cette procédure est illégale au regard du droit agraire des communautés et de la résolution présidentielle de 1964. Malheureusement, peu à peu, au fil des années, l’idée d’une assemblée administrant l’usage des terres communales s’est éteinte dans l’esprit des habitants. Très peu de personnes se souviennent du statut de ces terres aujourd’hui, les comuneros sont environ 200 et pour la plupart des personnes âgées. Tout cela augmente la difficulté et l’isolement de leur tâche de défense des biens communaux. Ainsi, EDF détient déjà tous les contrats de location des terres qu’elle a obtenu auprès des petits propriétaires terriens moyennant finances. Cela fait déjà plusieurs années que des entreprises comme EDF ou Demex (entreprise espagnole qui possède entre autres un parc éolien sur les terres d’Union Hidalgo) achètent la population en promettant des emplois futur dans les parcs, en investissant dans la réparation d’espaces publics ou en organisant des fêtes privées pour les propriétaires tous frais payés avec bières, botanas (tapas) et musique à volonté.

"Plus de travaux sociaux pour Union Hidalgo ; DEMEX-Renovalia continue d’aider cette communauté, cette fois ci avec le goudronnage de 2 256 mètre carré de la rue Ignacio Allende, 5e section. Union Hidalgo, Oaxaca, septembre 2019"

Il y a quelques mois, l’ONG en défense des droits humains Prodesc, qui accompagne juridiquement les opposants au projet éolien à Union Hidalgo, saluait la courageuse sentence d’une juge de la cour fédérale en faveur de la communauté indigène de Ranchu Gubiña. Ainsi l’entreprise EDF Énergie Nouvelle était mise en demeure pour son non-respect de la loi française sur le devoir de vigilance votée en 2017. L’électricien était accusé de violation des droits humains au Mexique pour non respect de la mise en place de la consultation dans les conditions de sécurité et d’informations adéquates. Malheureusement, on constate aujourd’hui que, malgré le fait nouveau qu’une consultation soit supervisée par une juge fédérale, celle-ci se poursuit dans des conditions d’exercice des droits humains déguisées pour satisfaire les institutions.

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